Gaël Angoula
Interview

Gaël Angoula : «Ne pas passer pour une arnaque»

Gaël Angoula : «Ne pas passer pour une arnaque»

Interview
Publié le 10/08 à 12:00 - ADS

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L'ex-défenseur de Bastia, Angers et Nîmes Gaël Angoula est devenu arbitre de Ligue 2 BKT deux ans seulement après avoir raccroché les crampons. Entretien.

Encore joueur du Nîmes Olympique il y a deux ans, Gaël Angoula officie comme arbitre de Ligue 2 BKT depuis cette saison. L'ex-défenseur du SC Bastia et d'Angers SCO, 37 ans, s'est livré sur sa reconversion peu commune à l'occasion des Journées nationales de l'arbitrage, lancées à Paris mardi.

Pour commencer, pouvez-vous nous raconter comment vous est venue l'envie d’arbitrer ?
A l’été 2016, alors que j’étais encore sous contrat avec Angers, j’ai fait le choix de partir à Nîmes, notamment car ma sœur habite dans le Sud. Ensuite, c’est arrivé d’un coup. Je ne me voyais pas arbitre, ça m’est tombé dessus. A Nîmes, j’ai eu l’occasion d’échanger avec Nicolas Rainville, un arbitre de Ligue 1 Uber Eats, un arbitre international, parce qu’il est licencié au club. Il faisait ses décrassages de son côté et on se croisait souvent en salle de musculation et d’étirements. J’étais l’un des seuls joueurs qui parlaient avec lui. J’ai commencé à lui poser des questions, sans aucune idée derrière la tête. Je lui demandais de m’expliquer les déplacements des arbitres sur un terrain, pourquoi ci, pourquoi ça… Je me suis pris au jeu et j’ai commencé à regarder ses matchs, à lui demander ce qui l’avait poussé à prendre telle ou telle décision.

Et ensuite ?
Au fil du temps, je me suis dit que ça pouvait me correspondre, que ça pouvait coller car les conflits ne me font pas peur. J’ai demandé à M. Rainville de se renseigner sur l’existence de passerelles et il m’a orienté vers les personnes compétentes. Il m’a ensuite fourni un bouquin sur les lois du jeu dont j’ignorais l’existence (rires). Je suis entré en contact avec la DTA (Direction technique de l’arbitrage) qui m’a ouvert ses portes par l’intermédiaire de Pascal Garibian et Eric Borghini. Ils m’ont mis dans les meilleures conditions pour préparer l’examen fédéral (en juin 2017) dans un laps de temps très court. Je n’avais que deux mois et demi pour réviser, ça paraissait insurmontable. J’ai dû faire pas mal de sacrifices puisque c’était une période où je jouais encore.

La transition s’est donc faite très vite…
Oui, je me suis dit que j’allais tenter ma chance. Je n’avais jamais eu l’ambition de devenir footballeur professionnel donc j’ai pu arrêter ma carrière de joueur sans aucune amertume. J’ai voulu tenter et aujourd’hui, je ne regrette absolument pas car je suis hyper content. Ça me plaît beaucoup et ça plairait à plus d’un joueur.

A ce propos, avez-vous été sollicité par des joueurs encore en activité ?
Pour ne rien vous cacher, j’ai dû recevoir une bonne dizaine d’appels. Il y a même un ex-joueur de Ligue 1 Uber Eats qui a disputé la Ligue des champions qui m’a contacté. D’ailleurs, trois des joueurs qui m’ont appelé ont réussi leur examen théorique cette année. Ils ont tous joué en Ligue 2 BKT. Il s’agit de Gaëtan Deneuve, Jacques Salze et Ludovic Genest, qui a été mon coéquipier à Bastia. Le parcours de Jérémy Stinat (ex-joueur de Laval ou encore Grenoble et désormais arbitre de Ligue 1 Uber Eats) et le mien ont été médiatisés, ce qui a visiblement donné des idées à certains. D’ailleurs, je ne savais même pas que Jérémy Stinat avait été joueur. Quand je l’ai appris, je l’ai appelé pour avoir des renseignements, savoir comment ça s’était passé pour lui.

« Je dois rattraper mon retard »

Deux ans après avoir arrêté votre carrière de joueur, vous arbitrez déjà en Ligue 2 BKT et officiez en tant que 4e arbitre en Ligue 1 Uber Eats. Vous attendiez-vous à une ascension aussi rapide ?
Pas du tout. C’est vrai que c’est allé vite. Mais, depuis que je me suis lancé, je me suis énormément investi car je voulais réussir et montrer aux arbitres ma détermination à devenir arbitre fédéral. J’ai aussi conscience d’être un privilégié puisque j’ai pu suivre un cursus accéléré. Ce privilège m’a poussé à bosser énormément. Je ne compte plus mes heures de travail. Sincèrement, je ne pensais pas que ce serait aussi dur (sourire).

Sur quels aspects du jeu travaillez-vous en particulier ?
Pendant un cursus normal, les arbitres rencontrent un certain nombre de situations que je n’ai pas pu connaître. Je dois rattraper mon retard. Je fais un travail vidéo monstrueux et je visionne des matchs pour mettre en place des stratégies qui me serviront dans une situation précise. Les autres arbitres ont les réponses grâce à leur expérience. Moi, je dois me faire des films, imaginer les situations dans ma tête pour être prêt le jour J.

Avez-vous une idée du nombre de matchs que vous regardez chaque semaine ?
Déjà, je visionne mes matchs deux à trois fois avant d’envoyer mon débrief à ma direction. Je regarde aussi les rencontres des clubs que je vais arbitrer. Je me mets le dernier match à l’extérieur de l’équipe qui sera à l’extérieur lors de mon prochain match. Idem pour l’équipe à domicile. A côté de ça, j’essaie de regarder un maximum de matchs, notamment les rencontres qui ont pu être problématiques.

Lorsque vous visionnez les matchs des équipes que vous allez arbitrer, à quoi faites-vous attention ?
J’observe le style de jeu de l’équipe, les caractéristiques des joueurs, leur forme, la tactique du moment… Je regarde si c’est une équipe qui met la pression. Ça me fournit des éléments mais il faut ensuite que j’arrive sur mon match sans a priori ou préjugé. Il ne faut pas que ça fausse les décisions que je vais prendre.

« Je me sens plus important »

Comment s’est déroulé le dernier match que vous avez arbitré ?
J’ai arbitré Lorient-Ajaccio lors de la 10e journée de Ligue 2 BKT (0-0). C’était une situation particulière pour moi puisque l’AC Ajaccio est un club avec lequel j’ai eu beaucoup de soucis lorsque j’étais joueur au SC Bastia. C’était également spécial car ce match opposait le leader au 2e donc c’était une grosse mission qui m’avait été confiée ou offerte. J’ai essayé de mettre plein de stratégies en place pour que le club ajaccien sente qu’il n’y avait aucune rancune de ma part. Je suis dans une fonction où il faut que je fasse table rase du passé pour que l’équité soit respectée. Je connais aussi les joueurs qui ont plus tendance à discuter avec les arbitres. J’essaie de faire passer des messages lorsque je passe à côté d’eux ou à travers un regard, pendant l’avant-match aussi. Il faut qu’ils comprennent que le match va bien se dérouler.

Quel est votre principal défi en tant qu’arbitre ?
Il faut que je sois plus qu’exemplaire pour gagner en légitimité auprès des collègues arbitres. C’est hyper important pour moi de ne pas passer pour une « arnaque », primordial même. Je veux aussi montrer à ceux qui désignent les arbitres qu’ils peuvent me faire confiance, que je suis capable de remplir les missions qu’ils me confient.

Et quelle est votre définition d’un bon arbitre ?
C’est un arbitre qu’on ne voit pas. C’est ce que je dis à mes assistants avant les matchs : si on ne parle pas de nous, c’est qu’on a été bons. J’ai été suffisamment dans la lumière lorsque j’étais joueur donc maintenant, moins on me voit, mieux c’est. C’est mon leitmotiv. Si on ne parle pas de moi, c’est que j’ai été juste, que personne n’a été lésé, que je n’ai pas fait preuve d’autoritarisme.

Sentez-vous que les joueurs se comportent différemment avec vous en raison de votre passé de joueur ?
Je ressens beaucoup de compréhension. Le fait d’avoir été pro me donne une certaine légitimité à leurs yeux. Mais il faut que je sois juste. Si je ne suis pas juste, les joueurs n’auront rien à faire de mon passé de joueur. Ils m’allumeront comme n’importe quel arbitre. Le plus important, c’est d’être juste et que l’on ne parle pas de moi. Pour l’instant, les premiers retours que j’ai eus sont positifs. Après mon dernier match, le Lorient-Ajaccio, j’ai échangé avec Laurent Abergel devant le vestiaire. Il m’a dit : « C’est dingue. Je n’aurais jamais pensé que vous deviendriez ce style d’arbitre. Avec tous les conflits que vous avez eus en tant que joueur, je pensais que vous seriez un arbitre avec qui on ne peut pas parler. Mais non, c’est l’inverse, on s’est régalé ». Et il m’a dit ça alors que Lorient n’a pas gagné. Ça fait évidemment plaisir mais ce qui compte, c’est le ressenti de ma direction.

Qu’est-ce qui vous procure du plaisir sur un terrain désormais ?
A l’époque où j’étais joueur, je prenais du plaisir dans le résultat et l’affrontement physique. Aujourd’hui, je prends du plaisir avec plus de sobriété, dans l’ombre. Paradoxalement, je me sens plus important avec ma tenue d’arbitre que lorsque je n’étais qu’un simple joueur, un soldat de l’effectif. J’ai pourtant connu des joies avec des montées, des titres de champion de National et de Ligue 2 BKT. Dernièrement, j’ai reçu une distinction, mon premier écusson Fédéral 4, le passeport pour être arbitre de la FFF. J’ai été plus touché que pour une montée, peut-être car c’est une distinction qui récompense un travail individuel, un investissement différent.