Interview

Gaël Angoula : « On doit être capables de se remettre en question »

Gaël Angoula : « On doit être capables de se remettre en question »

Interview
Publié le 25/11 à 09:54 - ADS

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Stratégies, vidéo, préparation physique, notes… Dans sa 3e saison comme arbitre en Ligue 2 BKT, l’ex-joueur Gaël Angoula fait le bilan dévoile les coulisses de son nouveau métier.

Gaël Angoula, vous êtes dans votre troisième saison comme arbitre en Ligue 2 BKT. Les joueurs vous perçoivent-ils encore comme l’un des leurs ?
C’est difficile de savoir comment ça se passe entre les autres arbitres et les joueurs mais, avec moi, je les trouve à l’aise. Ils me vouvoient, ils m’appellent « Monsieur l’arbitre », et c’est ainsi depuis que j’arbitre. Les joueurs ont immédiatement intégré mes nouvelles fonctions. J’ai toujours été droit dans mes bottes, que ce soit comme joueur ou maintenant comme arbitre, donc il n’y a aucun souci. Il arrive parfois que certains membres de staff fassent référence à ma carrière de joueur mais rien de plus.

A vos débuts comme arbitre, vous disiez que vous mettiez en place des stratégies pour que certains de vos anciens adversaires ne se sentent pas lésés en raison de conflits que vous pouviez avoir lorsque vous étiez joueur. Est-ce toujours le cas ?
Non, je suis maintenant considéré comme un arbitre à part entière par le monde du foot. Je me sens reconnu comme tel. Je n’ai plus à me « justifier » ou à adapter mon management aux joueurs avec qui j’ai pu avoir des soucis par le passé.

C’est-à-dire ?
Il m’est arrivé d’arbitrer des joueurs avec qui j’avais eu une altercation. Je me souviens par exemple de Samuel Bouhours que j’allais arbitrer avant un derby entre Le Mans et Laval, devant 20 000 personnes (en novembre 2018). Lorsqu’il était à Ajaccio et que je jouais à Bastia, il y avait eu un souci entre nous (en mars 2013). Avant le match au Mans, j’avais donc fait le choix de le convoquer en présence de mes assistants, du délégué, du capitaine de Laval, pour lui dire : « Quand j’étais joueur, il s’est passé ceci entre nous mais, maintenant, je suis dans une nouvelle fonction et on fait table rase du passé. Si tu dois être sanctionné, tu seras sanctionné comme n’importe quel joueur. » Je voulais le rassurer, que le joueur se sente libéré d’un éventuel poids, qu’il ne se dise pas que j’allais lui faire à l’envers parce qu’on s’était pris la tête par le passé. Et il avait été réceptif.

« Deux tests physiques dans la saison, loin d'être faciles »

En quoi avez-vous dû adapter votre préparation physique lorsque vous êtes devenu arbitre ?
Il a fallu faire ce que les joueurs n’aiment pas faire : courir sans ballon et s’entraîner seul ! Il faut courir longtemps, ce qui arrive rarement quand on est joueur, en tout début de préparation et encore… Maintenant, c’est mon quotidien. Je dois courir une trentaine de kilomètres chaque semaine.

Plus précisément, à quoi ressemble une semaine type ?
Le lundi, je choisis quelque chose de ludique comme la natation, le vélo ou la boxe, pour récupérer de mon match du week-end. Le mardi, je m’impose une séance longue le matin et je fais du renforcement musculaire en salle l’après-midi. Le mercredi matin, c’est fractionné puis renforcement musculaire l’après-midi. Si j’ai fait le bas du corps la veille, je fais le haut et inversement. Le jeudi, je fais quelque chose de léger. Ces dernières semaines, c’était du badminton. Le vendredi matin, je travaille la vitesse et l’explosivité avant de partir sur le lieu de mon match. Les préparateurs physiques de la DTA (la Direction technique de l’arbitrage) suivent tout ça à distance via une montre connectée fournie par la FFF. Ils peuvent ainsi nous faire des retours si besoin.

Quels sont les standards physiques imposés aux arbitres professionnels ?
Les arbitres doivent passer deux tests physiques dans la saison, loin d’être faciles. Le premier test s’effectue avant le début de saison et le second à mi-saison, pour valider la deuxième moitié de saison. Ces tests se déroulent à Clairefontaine sur un après-midi dans le cadre d’un stage de plusieurs jours. Si un arbitre ne valide pas ces tests, il n’est pas désigné et a droit à une session de rattrapage six semaines plus tard. S’il échoue à nouveau, il est rétrogradé et doit passer les tests de la catégorie inférieure.

En quoi consistent ces tests ?
Le premier test fait monter le cœur dans les tours. C’est un yoyo dynamique. Il s’agit d’effectuer des allers-retours à une vitesse demandée, avec la vitesse qui augmente au fur et à mesure. Le test hivernal est un test d’efforts à bonne vitesse, davantage sur la durée. Je préfère le premier test mais ça reste difficile.

« Je manquais de maturité à une époque »

Vous parliez tout à l’heure de montre connectée. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce monitoring ?
Le but de la collecte de données et de tous ces entraînements est de me permettre d’être lucide pendant le match, quel que soit le moment. Si je passe 20 minutes sur 90 dans ma zone 5, celle qui puise un maximum d’oxygène et fait perdre en lucidité, il se peut que je prenne une décision erronée... Le monitoring nous aide à bosser encore plus, de sorte à se trouver le moins souvent possible dans cette zone 5. Tout dépend aussi du rythme du match. Si tu arbitres le PSG et que les Parisiens ont la balle tout le temps, ce n’est pas la même problématique… A l’inverse, je n’ai jamais autant souffert physiquement que sur un match de jeunes où j’avais dû passer 70 minutes dans ma zone 5.

Avez-vous une structure médicale autour de vous ?
Je fais le point avec l’ostéopathe une fois tous les deux mois et je vois un kiné quand j’en ai besoin. Mais je n’ai jamais été un grand adepte de la kinésithérapie, même quand j’étais joueur. Je n’étais pas de ceux qui étaient abonnés à la table de massage.

Et la préparation mentale ?
J’y ai eu recours à un moment de ma carrière de joueur pour contrôler mon agressivité. J’avais aussi fait un peu de sophrologie. Mais j’ai vite arrêté. Ce n’était pas ce dont j’avais besoin. Mon souci, c’est que je manquais de maturité à une époque. Et j’ai su trouver les solutions seul.

« J'implique davantage mes assistants »

Pour parler maintenant de votre travail vidéo, comment préparez-vous vos matchs ?
Mon approche a évolué, j’implique davantage mes assistants. Je visionne le dernier match des deux équipes que je vais arbitrer. Plus précisément, je regarde le dernier match à domicile de l’équipe qui va jouer à domicile et le dernier match à l’extérieur de l’équipe qui se déplace. Mes assistants analysent également un match chacun. On échange ensuite sur les situations qui nous paraissent intéressantes et sur les tactiques des équipes puis j’incorpore ces éléments à ma causerie d’avant-match.

Et comment vous appuyez-vous sur la vidéo pour revenir sur vos matchs ?
A la fin de la rencontre, le producteur du match me remet une clé USB qui me permet de revoir mon match dans la foulée. J’ai du mal à dormir après un match donc je regarde ça sur mon ordinateur une fois que j’arrive à l’hôtel. Je revisionne mon match en intégralité une deuxième fois le lendemain et je le séquence sur une plateforme dédiée proposée par la DTA. Je repère les bonnes et les mauvaises décisions, ce sur quoi je dois travailler. Il faut noter tous les moments importants : les cartons, les buts, les pénaltys… Si j’ai donné un avertissement sur le terrain, est-ce que je confirme à froid ? Est-ce incontournable ? On doit être capables de se remettre en question. J’envoie mon retour à ma direction, notamment le manager des Fédéraux 2. La DTA a aussi revisionné le match et on procède ensuite à un débrief à distance.

Vous êtes souvent 4e arbitre en Ligue 1 Uber Eats. Ces matchs-là vous permettent-ils de progresser ?
Je ne sais pas, il y a tellement de choses à gérer sur la touche… Ce que je vois, et je le vis pour l’instant en Ligue 2 BKT, c’est que la façon dont se comporte l’arbitre central rejaillit sur les bancs. Si je fais mal mon boulot sur le terrain, le 4e arbitre va avoir du travail ! A moi d’être vigilant… Pour ce qui concerne le management, j’ai quasiment été 4e arbitre avec tous les arbitres de Ligue 1 Uber Eats et je sais comment ils fonctionnent, ce qu’ils attendent de moi. C’est aussi une source d’expériences formatrices.

« Je n'ai pas besoin du retour de ma direction pour savoir si je me suis troué »

Les arbitres changent de division selon les notes qu’ils reçoivent. Comment fonctionne ce système de notation ?
Le système a été simplifié. Il prône la régularité. On a un manager de la DTA et un référent de la CFA (bénévole de la commission fédérale des arbitres), qui visionnent nos matchs et nous note. Il y a aussi les observations terrain. Lorsque j’ai commencé, des observateurs étaient désignés et on était noté sur ces matches observés. Aujourd’hui, on est noté toute la saison par les observateurs mais aussi la DTA sur la base d’une grille d’évaluation utilisée par l’UEFA.

A quelle fréquence ces notes vous sont-elles communiquées ?
On connaît nos notes lorsque qu’on reçoit le rapport de l’observateur ou les débriefs de la DTA après chaque match. Mais je n’ai pas besoin d’avoir ma note pour me remettre en question. Je n’ai pas besoin du retour de ma direction pour savoir si je me suis troué ! Mais ces observations et débriefs ne sont pas une pression supplémentaire, on sait qu’on est jugé sur toute la saison et qu’il faut être bon toute la saison. La régularité des performances c’est aussi ce qu’attendent les clubs.

Quelles sont les relations entre les différents arbitres centraux tout au long de la saison ?
Sur le plan personnel, on a un groupe WhatsApp dans lequel on discute tous ensemble. Mais on n’y parle pas de faits de match, seulement de logistique et d’organisation, pour échanger des tuyaux selon les villes… Il est interdit de parler de clubs ou de joueurs en particulier car c’est hors de question d’arriver sur un match avec des préjugés. Sinon, on a quatre stages dans la saison en Ligue 2 BKT. On en a déjà fait deux et on se retrouvera au mois de décembre, avec notamment les tests physiques. On nous parle des ajustements par rapport aux lois du jeu ou à la VAR. On nous forme progressivement car nous sommes potentiellement les arbitres VAR de demain. Il y a aussi des consignes techniques, images à l’appui, pour qu’on adapte notre façon d’arbitrer certaines actions, sur la base des constats et analyses de la DTA.