Interview

Stéphane Carnot : « Un joueur peut être suivi quatre ans avant de signer »

Stéphane Carnot : « Un joueur peut être suivi quatre ans avant de signer »

Interview
Publié le 05/04 à 09:16

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Membre de la cellule de recrutement de l’EA Guingamp depuis bientôt 17 ans, l’ancien n°10 Stéphane Carnot raconte son rôle au sein du club costarmoricain dans un entretien où il évoque Marcus Thuram, Christophe Kerbrat et les VHS noir et blanc.

A l’En Avant Guingamp, Stéphane Carnot est une des gloires du club, lui qui a fait partie de l’équipe ayant fait monter le club pour la première fois de son histoire en Ligue 1 Uber Eats lors de la saison 1994/95 aux côtés des Guivarc’h, Rouxel et Coco Michel pour offrir un an plus tard une première qualification européenne à l’EAG. Joueur au club de 1985 à 1997, puis de 2000 à 2005, l’ex-numéro 10 est membre de la cellule de recrutement du club guingampais depuis 2006. Rencontre.

Stéphane, pouvez-vous revenir sur votre choix d’après carrière de devenir recruteur pour l’EA Guingamp ?
Avant de partir de Guingamp en janvier 2005 pour finir ma carrière de joueur à Sannois Saint-Gratien (National), j’avais convenu d’une reconversion au club avec le président Noël Le Graët. A mon retour un an plus tard, il n’y avait que deux postes à pourvoir : éducateur U12 et membre de la cellule de recrutement. C’était d’ailleurs presque une création de poste, car Yvon Schmitt était alors tout seul au recrutement. J’ai commencé par être son adjoint pour l’équipe professionnelle, quand Marc Rivoallan – qui est à mes côtés aujourd’hui - était celui pour la partie académie. Donc au départ, je ne savais pas si cela allait me plaire.

Quelles prédispositions aviez-vous pour ce métier que vous avez découvert sur le tas ?
Grâce à mon vécu de joueur, j’avais un œil pour voir les qualités et les défauts des joueurs. Cela s’est développé avec l’expérience. Avec les années, je repère plus rapidement, presque naturellement, ce que je recherche chez un joueur.

Recruteur est aussi un métier de réseau. Comment cela s’est-il passé pour vous au tout début ?
On m’a donné des numéros d’agents, donc j’ai vite connu du monde. Et comme j’avais fait une carrière, j’avais aussi déjà quelques contacts de mon côté. Et au fur et mesure, j’ai développé mon propre réseau. Mais je n’ai pas vraiment de contacts qui vont me dire d’aller voir un joueur en particulier. Ou alors ils ont un intérêt à le faire... En général, mes contacts me servent plutôt à creuser, à confirmer ce que j’ai vu chez un joueur.

« Quand un coach signe à Guingamp, il sait qu’il n’arrive pas au PSG »

Vous souvenez-vous de votre premier recrutement pour le club ?
Je suis arrivé en juillet 2006. Le mois suivant, je suis parti superviser au Brésil, où rien ne s’est concrétiser. Ensuite, je suis parti au Congo faire la CAN des moins de 20 ans. Plusieurs joueurs m’avaient tapé dans l’œil, et un en particulier : Bakary Koné (défenseur central burkinabé à l’EAG entre 2007 et 2011). Tous les clubs présents étaient d’ailleurs intéressés par lui. Et l’EAG était le seul de Ligue 2 BKT, les autres étaient des clubs de l’élite. J’ai alors dit au président que notre seule chance de l’avoir était de faire un contrat immédiatement, car les autres préféraient le prendre à l’essai. Tout s’est réglé très vite, avant la fin de la compétition et surtout avant la fin du mercato d’hiver. Ce n’était pas sans risque. D’autant que pour moi, c’était mon premier joueur !

Comment êtes-vous aujourd’hui organisés avec le coach ? Qui décide par exemple des postes et des joueurs à suivre ?
Le recrutement est vraiment un travail d’équipe et de concertation. Ce n’est jamais une décision individuelle. Les critères recherchés par poste sont transmis par le coach. Il peut aussi avoir des joueurs qu’il apprécie, alors nous allons les voir. Au final, c’est lui qui valide les joueurs ciblés. Pour cela, il a à sa disposition tous nos rapports qu’il peut immédiatement consulter. Dans nos recherches, nous pouvons ressortir tout l’historique des observations faites avec parfois 15-20 rapports sur un joueur. Plus le coach nous donne de critères, plus il nous est difficile de trouver le joueur qui remplit toutes les cases. Donc, il faut souvent faire des compromis et prioriser les qualités. Et lorsque nous avons plusieurs noms pour un même poste à recruter, la partie financière peut être le critère décisif. Mais cela se passe toujours bien. Quand un entraîneur signe à Guingamp, il sait qu’il n’arrive pas au PSG.

A deux recruteurs au sein de la cellule, combien de championnats parvenez-vous à couvrir ?
En fonction de la division dans laquelle vous êtes, vous ciblez les championnats à superviser. Quand on est en Ligue 2 BKT, on regarde au même niveau ou en-dessous. Donc actuellement, nous travaillons surtout sur la Ligue 2 BKT, le National 1 et le National 2. En Ligue 1 Uber Eats, nous connaissons déjà les joueurs, et s’ils viennent chez nous ils ne le font que sous la forme de prêts. Nous essayons aussi de travailler sur des pays étrangers qui restent accessibles pour l’En Avant (Portugal, Suède, Danemark…).

D’ailleurs, l’EAG a recruté plusieurs joueurs évoluant au Danemark dans son histoire récente (Lössl, Jacobsen et Schwartz en 14/15, Johnsson en 16/17, Phiri en 17/18). Pourquoi avoir ciblé ce pays ?
Quand nous sommes montés en Ligue 1 Uber Eats avec Jocelyn Gourvennec (en 2013/14), on s’est dit qu’il y avait sans doute des pays où on pourrait travailler. Nous en avons identifiés plusieurs, notamment le Danemark, où nous avons en effet recruté quelques joueurs. Les pays nordiques ont la réputation d’être sérieux et professionnels, d’avoir de bons joueurs qui sont également de bonnes personnes. Donc cela a fait partie des critères qui nous ont conduits à nous y rendre. Et nous n’avons jamais été déçus sur les personnes.

« Il arrivait que les vidéos soient en noir et blanc »

Le travail de recrutement est-il plus difficile lorsque l’on évolue en Ligue 2 BKT ?
C’est certain qu’il est toujours plus facile de recruter quand on est en Ligue 1 Uber Eats. Parce que vous offrez une plus grande exposition aux joueurs. Pour les étrangers, c’est plus facile dans un premier temps de se montrer à Guingamp pour ensuite viser plus haut, plutôt que d’aller directement dans un club de niveau supérieur. Mais il y a toujours de la concurrence pour le recrutement, peu importe le niveau. On ne fait pas toujours ce que l’on veut.

Face à cette concurrence présente, y a-t-il une notion de rapidité dans votre travail pour signer un joueur ?
Je dirais plutôt de timing. Il y a des périodes hors mercato où nous ne pouvons plus agir. En fonction de ses performances, un joueur peut ne plus être un joueur accessible deux-trois mois plus tard…En début de saison, nous avons ciblé quelques joueurs, notamment des attaquants qui marchent très bien aujourd’hui. Sans doute ne sont-ils plus pour nous maintenant.

Quelle méthode utilisez-vous pour repérer de nouveaux joueurs ?
D’abord, nous voyons un maximum de matchs – je dirais que je vois entre 200 et 250 matchs par saison - et au fur et à mesure nous établissons des listes de joueurs assez larges que nous affinons en fonction des événements, comme par exemple de potentiels départs. L’œil est important et normalement la vidéo confirme ce que l’on a vu. Vingt minutes peuvent parfois suffire pour qu’un joueur nous tape dans l’œil. Quand un joueur a été identifié, si nous ne retournons pas le voir en tribune, nous le regardons toutes les semaines en vidéo.

Justement, quelle place occupe la vidéo pour vous aider à suivre les joueurs ?
Les vidéos sont rapidement disponibles en Ligue 2 BKT et en National. Il est possible de revoir un match joué le vendredi soir dès le lendemain matin. Il y a eu beaucoup de progrès effectués dans le domaine de la vidéo. J’ai connu l’époque des VHS à mes débuts ! Il fallait les commander et elles mettaient plusieurs jours à être livrées. Il arrivait même que les images soient en noir et blanc…

« Avec les datas, nous n’aurions jamais pris El Ouazzani »

Aller voir les matchs reste évidemment indispensable dans votre métier.
Ce qui est important en tribune, c’est de voir le comportement du joueur dans toutes les différentes phases de jeu, quand il n’a pas le ballon, quand les adversaires attaques…est-ce qu’il marche, se replace, est-il impliqué ou déconnecté de son équipe. Observer ce que la vidéo ne montre pas. Et c’est en voyant un joueur plusieurs fois que l’on parvient à affiner un avis. Dans l’idéal, nous supervisons les joueurs aussi bien à domicile qu’à l’extérieur, quand il pleut, quand il neige…

Souvent évoqué dans les outils de recrutement, les datas sont-elles utilisées par l’EAG ?
Non, pas trop. C’est un outil utile et complémentaire, mais ce n’est pas l’outil ultime. Je trouve que l’on peut leur faire dire ce que l’on veut ou tout du moins les orienter dans le sens recherché. En prenant le cas d’Amine El Ouazzani (21 ans, 2e meilleur buteur du club, 5 buts en Ligue 2 BKT), si on avait regardé que les stats, on ne l’aurait pas pris dans l’équipe. Il n’avait mis que trois buts à Bourg-en-Bresse (National).

L’entente entre joueurs est-il un critère de recherche pour former des binômes complémentaires ? A l’image de ce qui a été vu au club entre 2013 et 2015 avec le duo d’attaque Beauvue-Mandanne.
Dans nos échanges avec le coach, cela est forcément évoqué. Par exemple, si en défense central il préfère avoir un droitier et un gaucher ou un costaud et un relanceur. Mais cela est intégré aux critères définis. De même que si le joueur doit être polyvalent. Car nous travaillons sur un profil de joueurs. Les associations concernent davantage le coach qui peut donc y avoir pensé avant de nous faire sa demande.

« Un recrutement c’est faire découvrir un joueur »

Quelles sont plus vos grandes satisfactions de recrutement ?
Tout d’abord, j’estime qu’un recrutement concerne un joueur qui n’est pas encore connu, un joueur que vous faites venir de l’étranger ou d’une division inférieure. Pour moi, recruter Jimmy Briand ou Clément Grenier (au club en janvier 2018) c’est juste être là au bon moment. Mais vous n’avez rien découvert…Pour ces joueurs, il y a un timing. Pour Grenier, qui ne jouait plus depuis quelques temps avec l’OL, lorsque nous l’avons appelé ce n’était pas le bon moment. Et c’est son agent qui a repris contact deux mois plus tard pour nous demander si l’offre était toujours valable. Donc je penserais plus à Mustapha Diallo qui était en Afrique, ou encore à Pedro Rebocho et Marçal. Ce Brésilien figurait dans nos listes depuis son époque au Portugal (pays suivi par le club), mais nous ne l’avons fait signer qu’après une autre saison en Turquie, où nous ne sommes pas allés le revoir. Nous le connaissions bien et il venait d’être élu meilleur latéral gauche du championnat turc.

L’EA Guingamp a aussi révélé des joueurs au niveau local, comme Christophe Kerbrat qui jouait à Plabennec chez les amateurs…
Oui, j’allais très régulièrement à Plabennec. Mais je ne pensais pas que nous nous intéresserions un jour à lui. D’ailleurs, je disais tout le temps que c’était dommage qu’aucun club ne se mette sur ce joueur… En 2010/11, Guingamp s’est retrouvé en National et Christophe a joué à l’aller et au retour face à nous. Il avait bien plu au coach (Gourvennec). En fin de saison, nous sommes remontés en Ligue 2 BKT et Plabennec est descendu. Et comme nous recherchions un quatrième milieu de terrain, j’ai dit à Jocelyn que ça pouvait aller vite, car j’allais déjà le voir les années précédentes et j’avais une quinzaine de rapports sur lui. Je me souviens d’avoir appelé Christophe en tout début d’après-midi et l’avoir entendu chuchoter : « Est-ce que je peux vous rappeler à 18h ? Je suis au travail... » Il était encore amateur. Et son arrivée était réglée dès le lendemain. Nous avons été contents tout de suite car il avait un état d’esprit vraiment top. Il a été recruté au milieu mais il a ensuite été descendu d’un cran par le coach, notamment du fait de la concurrence car, à son arrivée, nous avions Mustapha Diallo, Lionel Mathis, Gianelli Imbula et François Bellugou.

« Thuram, c’est vraiment Kombouaré qui l’a voulu »

Il semble souvent arriver que des clubs recrutent des joueurs qui marquent ou jouent bien face à eux...
Je pense surtout que c’est la confirmation de ce que vous avez pu voir de ce joueur auparavant. Le recrutement est un processus, il arrive que des joueurs arrivent après avoir été suivi pendant quatre saisons ! Croire que l’on recrute un joueur parce qu’il a marqué contre votre équipe est plutôt un fantasme.

Enfin, l’En Avant est le club qui a lancé Marcus Thuram (2017-2019), devenu international. Pouvez-vous nous raconter son arrivée ?
C’est un joueur que l’on suivait surtout en sélection, car à Sochaux il ne jouait pas trop. La cellule l’avait supervisé, mais c’est vraiment Antoine Kombouaré qui a voulu le recruter. Cela a été plutôt une réussite, au moins pour lui, car pour le club c’était la saison de la descente (2018/19). Et pour la suite de sa carrière, cela a été un très bon choix. Ce que j’avais noté de positif chez lui c’est qu’il tentait des choses. Il ne se cachait pas, il repartait toujours à la charge en faisant preuve de caractère. Il avait montré de belles capacités en étant très bons contre les grosses équipes.

(Crédit photo : EAG)