Interview

Anton Salétros : « Je me demandais ce qu’Orelsan faisait là »

Anton Salétros : « Je me demandais ce qu’Orelsan faisait là »

Interview
Publié le 25/04 à 21:31 - Arnaud Di Stasio

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Arrivé au SM Caen en janvier, le milieu international suédois Anton Salétros n’a pas tardé à s’adapter. Orelsan, Manchester United, Alexandre Mendy… Entretien.

Peux-tu commencer par nous raconter ton arrivée au SM Caen ?
Cet hiver, j’ai été sollicité par des clubs scandinaves, de MLS, de Turquie… Mais quand le SM Caen a commencé à s’intéresser à moi, c’est allé vite. Les dirigeants m’ont présenté un projet séduisant, que ce soit collectivement ou individuellement. Caen est un club ambitieux qui a pour objectif de retrouver la Ligue 1 Uber Eats. Venir ici me donnait l’opportunité d’évoluer en Ligue 2 BKT, qui n’est pas un championnat facile. J’ai rapidement pu m’apercevoir qu’il y avait beaucoup de bons joueurs et que c’était un championnat de qualité. Caen est une très belle opportunité pour moi. Je joue maintenant en France, un pays dont l’équipe nationale a fait les deux dernières finales de Coupe du monde. Un pays qui est aussi réputé pour sa formation et pour développer les talents. La France est un grand pays de foot et j’avais envie de venir ici pour continuer à progresser.

Quel est ton regard sur la Ligue 2 BKT ?
Comme je le disais, c’est un bon championnat. C’est une deuxième division mais il y a de la qualité. C’est un très bon championnat, avec beaucoup de joueurs qui ont l’expérience de la Ligue 1 Uber Eats. C’est très difficile ici, avec des clubs historiques comme Caen, Bordeaux, Saint-Étienne, Metz… Je savais que c’était un championnat très physique et j’ai pu me rendre compte à quel point dès mon premier entraînement ! Et en match, il y a beaucoup d’intensité, un gros pressing… Le physique, c’est vraiment la caractéristique numéro 1.

« Plus dur de remporter les duels ici »

Même si tu as connu deux expériences en Russie et Hongrie, tu as fait l’essentiel de ta carrière en Suède et en Norvège. Vu de France, on imagine la dimension athlétique comme étant très présente dans les championnats scandinaves également, non ?
Ce sont des championnats où il faut être physique oui, mais de manière différente. Moi, par exemple, je suis très endurant. Mais en Ligue 2 BKT, cette dimension athlétique passe aussi par la rapidité, l’explosivité… Il y a des joueurs avec ce type de caractéristiques dans toutes les équipes de Ligue 2 BKT. Les championnats scandinaves sont exigeants physiquement car il y a beaucoup d’impact, les duels sont durs, mais ici, la vitesse et l’intensité sont différentes. Là-bas, je pouvais courir 12-13 kilomètres par match. Ici, ce sera peut-être un peu moins mais avec davantage de sprints et un rythme plus élevé. En Ligue 2 BKT, les individualités sont plus fortes, offensivement comme défensivement. Globalement, c’est plus dur de remporter les duels. En Suède, le jeu est plus compact, avec des équipes davantage en bloc.

Tu as été élu joueur du mois de février par les supporters du SM Caen. T’attendais-tu à t’adapter aussi vite ?
Je ne savais pas trop à quoi m’attendre et on ne peut pas tout contrôler bien sûr mais je suis arrivé avec l’intention de prendre mes marques le plus vite possible. C’est nécessaire pour pouvoir aider l’équipe au mieux. Dès mon premier match, contre Laval (0-0), j’ai senti que ça allait bien se passer et depuis, je donne le maximum pour continuer à progresser et à m’adapter petit à petit.

« Stéphane Moulin sait maintenir ses joueurs sous pression »

Ton arrivée au SM Caen s’est faite dans un contexte pesant puisque Stéphane Moulin vivait un drame personnel…
C’est sûr que c’était une situation horrible, en premier lieu pour le coach et sa famille. Cette période m’a permis de me rendre compte à quel point le club, les joueurs et les supporters étaient soudés pour essayer d’aider le coach à surmonter cette épreuve. Quand j’ai vu cet état d’esprit… Ce n’est pas un hasard si on a réussi à enchaîner les bons résultats par la suite. Quand un drame comme ça survient, on n’a pas le choix : il faut rester soudé et se soutenir les uns les autres.

Peux-tu nous en dire davantage sur ta relation avec le coach ?
Son CV parle pour lui. Il a fait de très belles choses avec Angers, un club qu’il a réussi à maintenir en Ligue 1 Uber Eats pendant six ans. C’est un coach expérimenté qui met tout en œuvre pour atteindre la victoire. A l’entraînement, c’est quelqu’un de passionné, qui met beaucoup d’intensité dans ses séances et attend beaucoup de nous. Il sait maintenir ses joueurs sous pression pour qu’on ne relâche pas l’accélérateur même quand on a l’impression que c’est plus facile. Il veut vraiment que l’on donne le meilleur de nous-mêmes, tout le temps. Pour ce qui est de notre relation à tous les deux, elle est bonne, même si mon niveau de français me limite forcément pour le moment.

Qu’en est-il justement ?
(Il s’exprime désormais en français). C’est encore un peu difficile de parler pour moi mais je comprends. Pas de problème pour comprendre sur le terrain : « Seul », « Ça vient », tout ça… (Il reprend en anglais). Dès que je peux, j’essaie de parler français. Je pense connaître l’essentiel pour communiquer sur le terrain. En dehors, c’est autre chose mais je suis capable de faire mes courses tout seul (rires). Sinon, j’ai des cours de français chaque semaine et j’apprends aussi avec l’application Duolingo.

« Je n’ai pas découvert le SM Caen l’hiver dernier »

Que savais-tu du SM Caen avant de signer ici ?
Tout le monde connaît Thomas Lemar et N’Golo Kanté ! Je savais aussi que Caen joue régulièrement en Ligue 1 Uber Eats. J’avais déjà vu quelques matchs à la TV donc je n’ai pas découvert le club l’hiver dernier. Quand on suit le foot, on connaît les clubs qui jouent dans les 5 grands championnats européens, même ceux qui ne sont pas en première division tout le temps. C’est comme Sheffield United ou Sheffield Wednesday en Angleterre par exemple. Ce sont des noms qui parlent aux fans de foot.

Quelle image a le football français en Suède, ton pays d’origine ?
Les Suédois suivent la Premier League, la Liga, la Serie A mais aussi la Ligue 1 Uber Eats et la Bundesliga. Ça dépend aussi des joueurs suédois qui évoluent dans le championnat. Quand il y avait Kim Källström et Ola Toivonen, les matchs étaient davantage diffusés et on s’intéressait encore plus à la Ligue 1 Uber Eats. Même chose lorsque Zlatan était au Paris Saint-Germain évidemment ! En ce moment, on n’a pas vraiment de grosses stars dans le championnat même s’il y a Jens Cajuste à - je ne sais jamais comment prononcer ce club - Reims ! Il y a aussi Gabriel Gudmundsson à Lille. Mais on parle de jeunes joueurs, pas encore de grosses stars. Tout ça pour dire que la Ligue 1 Uber Eats est très respectée en Suède. Les gens savent que c’est un très bon championnat. Un championnat difficile où, à part le PSG, tout le monde peut battre tout le monde.

« Le rap français est très populaire en Suède »

Après votre victoire contre Bastia début février (3-1), un match lors duquel tu as marqué et donné une passe décisive, on t’a vu à côté du rappeur Orelsan pendant le cri de guerre dans le vestiaire…
Pour être honnête, je ne savais pas qui c’était et je me demandais ce qu’il faisait là ! Mais après, on m’a dit qu’il était très connu en France. Notre préparateur physique, Benoît Pickeu, m’a fait écouter certaines de ses chansons et c’était pas mal ! D’ailleurs, la musique française est très populaire en Suède. Je dirais même que le rap français est très populaire en Suède. On écoute Dadju, Gims et beaucoup d’autres…

Sur la vidéo d’annonce de ton arrivée, on te voit dans le costume de la mascotte du club. C’était ton idée ?
(Rires). Non, le coupable, c’est le responsable de la communication. Ça m’a un peu surpris au début mais ça a fait son effet ! En revanche, je ne suis pas sûr que ça m’a plu au point de vouloir faire mascotte après ma carrière de joueur (sourire).

« J’ai fait mon premier match pro face à Manchester United »

Tu as joué un match avec l’équipe de Suède début 2020. Est-ce ton meilleur souvenir ?
Je ne pense pas… Représenter son pays, c’est incroyable bien sûr mais je pense que mon meilleur souvenir, c’est mon premier match pro avec AIK. C’est le club où j’ai été formé, que je supportais enfant, et j’ai fait mon premier match pro avec AIK face à Manchester United. C’était un amical lors de l’été 2013. J’avais 17 ans et je m’entraînais avec l’équipe première depuis trois ou quatre mois. Le coach m’avait convoqué pour ce match contre Manchester United mais, dans ma tête, c’était seulement pour observer de près et apprendre. Mais finalement, il m’envoie à l’échauffement et, à 20 minutes de la fin, j’entre en jeu. Je me retrouve face aux Anderson, Carrick, van Persie, Vidic…

Tu as pu récupérer un maillot ?
Oui, j’ai échangé mon maillot avec Michael Carrick ! C’était incroyable de le voir sur le terrain. Quand tu penses à Michael Carrick, tu te dis que c’est un bon joueur mais, le voir de près, c’était incroyable. Il joue avec toi. C’est comme s’il jouait aux échecs. Tu ne fais qu’un pas vers lui, il garde la balle. Tu le presses, il joue en une touche. Tu fais un pas vers lui, il joue en deux touches. Tu restes en place, il garde la balle. C’est comme s’il savait ce que tu allais faire avant toi. C’était impressionnant !

« Je travaille pour retrouver l’équipe de Suède »

Pour revenir à l’équipe de Suède…
Ah oui (il coupe). J’ai donc signé à Rostov en Russie lors de l’été 2018 mais, après six mois là-bas, je suis revenu à l’AIK, en prêt. J’ai fait une super saison au terme de laquelle j’ai été appelé en sélection. C’était au début de l’année 2020 pour deux matchs amicaux contre la Moldavie et le Kosovo. J’ai eu la chance d’être titulaire et de disputer tout le deuxième match contre le Kosovo (victoire 1-0). Après cette première convocation, j’ai été rappelé deux fois mais les matchs n’ont pas eu lieu à cause de la crise du covid. Depuis, je travaille pour retrouver l’équipe de Suède.

Durant ta carrière, tu as joué avec plusieurs joueurs bien connus des fans de football comme Alexander Isak, Sebastian Larsson, Kolbeinn Sightorsson ou Niclas Eliasson…
Et Alexandre Mendy (sourire) ! Tu as cité beaucoup de très bons joueurs. Alexander Isak était très jeune lorsque j’ai joué avec lui. C’était au moment de ses premiers matchs en professionnel avec l’AIK (en 2016), avant qu’il ne signe à Dortmund. On a tout de suite vu qu’il était spécial, qu’il avait un talent hors du commun. Mais sinon, celui qui m’a le plus marqué, c’est Sebastian Larsson. Il arrivait après plus de 400 matchs en Angleterre (avec Arsenal et Sunderland notamment). Je crois aussi qu’il était le 3e meilleur buteur sur coup franc de l’histoire de la Premier League. Chaque jour, il était à 100%. Il ne manquait pas un entraînement, pas un match, et il était toujours très bon. Et ses coups francs… Sur 10, il t’en mettait 8 en lucarne.

C’est quelqu’un à qui tu demandais conseil ?
Pas à proprement parler. Mais quand tu as un coéquipier comme ça, tu essaies de faire comme lui, de reproduire les petites choses qu’il fait sur le terrain comme en dehors. Il est revenu en Suède après avoir joué en Premier League à l’âge de 33 ans je crois. Les gens pouvaient penser qu’il allait terminer sa carrière tranquillement, prendre son salaire sans se faire trop mal… Mais non. A chaque entraînement, il était à fond et il a continué comme ça jusqu’il y a quelques semaines, à plus de 37 ans. C’est vraiment un modèle en termes de caractère.

Parmi tes anciens coéquipiers, on trouve aussi l’attaquant lorientais Ibrahima Koné, avec qui tu as joué à Sarpsborg, en Norvège…
On a joué une saison ensemble et on s’entendait très bien sur le terrain. C’est un très bon attaquant et quelqu’un de très sympa. Quand il a signé à Lorient, il n’a pas tardé à marquer des buts. Et même quand il entre en cours de match, il est capable de marquer (ça a été le cas deux fois au mois d’avril). En Norvège, on habitait dans le même immeuble donc on allait dîner ensemble de temps en temps. C’est un chouette gars.

« J’ai presque toujours été capitaine »

En l’espace de deux ans, entre 2017 et 2019, tu as évolué dans quatre pays différents puisque tu as joué en Suède, en Hongrie, en Russie puis en Norvège, où tu sors de trois saisons avec Sarpsborg. Qu’est-ce qui a fait que tu as trouvé de la stabilité là-bas ?
J’ai joué beaucoup de matchs chez moi, en Suède, et même si j’étais encore jeune, j’avais envie de voir comment les choses se passaient à l’étranger. C’est notamment pour ça que j’ai décidé de partir en Russie puis, un peu plus tard, en Norvège. Quelques semaines après mon arrivée là-bas, la crise du covid a débuté mais je me suis dit que je n’allais pas changer de club une nouvelle fois, qu’il fallait que je travaille dur et que je gagne la confiance du coach. Ça a bien marché pour moi car je jouais tous les matchs. Et le plus important, c’est de pouvoir trouver de la continuité, d’enchaîner les matchs.

En Norvège, tu as aussi été capitaine…
Oui, j’étais capitaine en fin de saison mais ce n’était pas quelque chose de nouveau pour moi. La première fois que j’ai eu le brassard, c’était avec AIK, à 22 ans. Ça a duré plusieurs matchs. J’ai également été capitaine un certain nombre de fois dans les équipes de jeunes de la Suède. J’ai presque toujours été capitaine à un moment ou un autre dans les équipes pour lesquelles j’ai joué.

C’est un objectif de devenir le capitaine du SM Caen un jour ?
Pour ça, il faudrait déjà que je maîtrise le français ! Sans parler la langue, ce n’est pas possible de pouvoir exprimer sa personnalité à 100%. C’est nécessaire pour être capable de parler tout le monde, d’aider ses coéquipiers sur et en dehors du terrain. Mais oui, j’aime faire partie des joueurs qui emmènent le groupe avec eux. Pour en être capable, il faut que je maîtrise le français complètement.

On parlait de tes expériences dans quatre pays différents. Est-ce que ça t’aide dans ton adaptation à Caen ou l’on repart presque de zéro à chaque fois ?
Ça m’aide bien sûr. Chaque expérience t’apporte de nouvelles armes car tu te frottes à des cultures différentes, des styles de jeu différents… Chaque découverte sur le terrain t’apporte quelque chose qui pourra te resservir dans un autre contexte. Si j’étais arrivé ici directement depuis la Suède, ça aurait été bien plus compliqué. J’aurais peut-être dû franchir quatre ou cinq paliers avant d’être capable de jouer. Mais là, grâce à mon vécu, il y a moins d’étapes à franchir pour arriver au niveau où j’ai envie d’être avec Caen. Tu sais davantage comment fonctionne le football et ce qu’il faut pour t’intégrer dans une nouvelle équipe.

« En Suède, la vie tourne davantage autour du travail »

Tu parlais des styles de jeu. Quelles sont les différences majeures entre la Suède, la Hongrie, la Russie, la Norvège et la Ligue 2 BKT ?
Le championnat russe et la Ligue 2 BKT sont assez similaires. Ça joue physique, ça va vite, il y a beaucoup de joueurs de qualité… En Suède, soit tu attaques, soit tu défends. Le jeu passe moins vite d’une phase à l’autre. La construction est plus lente, avec des phases de possession plus longues, un peu comme en Italie. Le championnat norvégien ressemble à la Bundesliga dans le sens où ça va vite d’un but à l’autre, avec beaucoup de contre-attaques.

Et dans la vie de tous les jours, quelles sont les principales différences ?
J’aime beaucoup la vie ici, la France est un beau pays. Le mode de vie et la façon de penser sont assez similaires à ce que j’ai vécu en Suède. C’est européen. En Russie, c’est différent en revanche. C’est un monde à part. Je disais que la France et la Suède se ressemblent d’une certaine façon mais ici, on profite davantage de la vie. Les gens vont boire des verres ensemble, ils sortent au restaurant, avec les amis, en famille… En Suède, la vie tourne davantage autour de travail. C’est agréable de voir comment vous vivez, vous les Français.

Tu es suédois mais tu as aussi des origines hongroises. Quelle influence tient cette double culture dans ton quotidien ?
Mon père est hongrois et ma mère suédoise mais je suis né à Stockholm et j’ai grandi en Suède. Donc même si on peut dire que j’ai une double culture, je suis suédois avant tout.

On en parlait plus tôt, tu as donc débuté ta carrière avec l’AIK, un des clubs les plus populaires de Suède. Est-ce que ça signifie une pression supplémentaire ?
Clairement. En Suède, il y a l’AIK d’un côté et tous les autres clubs de l’autre. C’est plus dur de jouer pour l’AIK mais ça forge le caractère. Il y a la pression des supporters, la pression du résultat… A chaque match, la victoire est obligatoire. C’est comme ça dès les équipes de jeunes. Tu es là pour gagner. Mais c’est aussi ce qui me plaît avec ce club. Il y a quelques jours, il y avait le derby contre Hammarby par exemple et le stade était plein, avec plus de 45 000 personnes… Dès ton plus jeune âge, tu es habitué à gérer cette pression. C’est un endroit parfait pour lancer ta carrière parce que ça t’habitue tout de suite à certaines choses un peu « anormales ». Ça te donne un avantage. Un joueur lambda sera peut-être choqué par la ferveur la première fois qu’il jouera à Marseille alors que lorsque tu viens d’un club comme l’AIK, tu sais gérer ce type d’ambiances. J’y reviens mais quand tu joues ton premier match pro à 17 ans, contre Manchester United, devant 50 000 personnes, ça t’habitue à un niveau d’exigence très élevé.