Interview

SCO : Dans les coulisses du métier de préparateur physique

SCO : Dans les coulisses du métier de préparateur physique

Interview
Publié le 20/07 à 10:05 - Arnaud Di Stasio

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Nouveau préparateur physique d’Angers SCO après plusieurs années à l'AC Ajaccio, Tom Frère raconte les coulisses de sa fonction, avec bien sûr un focus sur la présaison. Entretien.

Après trois ans et demi à l’AC Ajaccio, tu viens de rejoindre Angers SCO, ta deuxième expérience dans un club professionnel à même pas 30 ans. Peux-tu revenir sur ton parcours ?
J’ai commencé par un master « préparation physique, mentale et réathlétisation » à Lyon. Dans le cadre de ce master STAPS, il y avait une alternance à faire, ce qui m’a permis d’intégrer à l’AS Poissy, en CFA (N2). C’était en 2015/2016 donc je n’avais que 21 ans et j’avais la chance d’avoir pour coach Nordine Kourichi, un ancien pro qui a aussi été adjoint de Vahid Halilhodžić en équipe d’Algérie. Dans la foulée, j’ai pu passer sous contrat à Jura Sud Foot au même niveau, avec Pascal Moulin, où l’on réussit deux belles saisons. Mais avant l’été 2018, j’ai souhaité partir car mon fonctionnement fait que je ne voulais pas rester dans ma zone de confort pour continuer à progresser. Je me retrouve à Moulins Yzeure avec Stéphane Dief, toujours en N2, un championnat qui s’est vraiment structuré et qui est devenu semi-professionnel. Un an et demi plus tard, lors de la trêve hivernale, je rejoins l’AC Ajaccio grâce à Pascal Moulin qui avait glissé mon nom à Alexandre Dujeux, qui était dans le staff d’Olivier Pantaloni.

Et ensuite ?
J’ai passé trois saisons et demie exceptionnelles à l’ACA, c’était une expérience incroyable et je ne remercierai jamais assez Olivier et les dirigeants ajacciens de m’avoir permis de vivre cette aventure. A mon niveau, j’ai senti que c’était la fin d’un cycle après avoir vécu des émotions comme l’euphorie de la montée en Ligue 1 Uber Eats puis la déception de la relégation en fin de saison dernière. Il y avait un sentiment d’échec personnel et j’ai senti la nécessité de sortir de ma zone de confort à nouveau, de refaire mes preuves ailleurs. J’ai demandé à quitter l’ACA sans avoir de plan B mais, quelques semaines plus tard, Alexandre Dujeux a été nommé numéro 1 à Angers et il m’a proposé le poste de préparateur physique.

« La confiance est primordiale dans ce métier »

Quand tu parles de ton besoin de changer de club, c’est uniquement un sentiment personnel ou c’est aussi parce qu’il y a peut-être une durée de vie limitée pour faire passer son message au mieux auprès des joueurs ?
Je n’ai jamais ressenti le besoin de changer drastiquement de méthode pour remobiliser les joueurs mais c’est peut-être parce que je n’ai jamais fait plus de trois ans et demi dans un club. Il faut sans doute plus pour qu’il y ait une éventuelle rupture avec les joueurs ou le staff. Quoi qu’il arrive, je pense que le renouvellement et le changement sont nécessaires pour progresser. Dans notre métier, il faut introduire de la nouveauté pour éviter de tomber dans la routine. Il y a des routines qui rassurent mais il y a aussi des routines qui endorment. Ce serait dommage de tomber là-dedans à mon âge. J’ai encore beaucoup à apprendre et ça passe par des échanges, des rencontres, du travail avec différents joueurs, différents staffs, différents environnements…

Au SCO, tu as retrouvé Alexandre Dujeux, avec qui tu as été dans le staff de l’ACA pendant un an et demi. En quoi est-ce que ça été un avantage pour toi ?
Déjà, ça rassure. Et si je suis au SCO aujourd’hui, c’est que le coach le voulait. Ça facilite beaucoup de choses. La confiance est primordiale dans ce métier et j’ai une confiance totale en lui. Il y a ensuite des automatismes qui se mettent en place sur le terrain. Il y a aussi un petit changement car lorsque je travaillais avec Alexandre Dujeux à l’ACA, il était adjoint, et aujourd’hui, il est numéro 1. D’une certaine manière, je le redécouvre. Mais c’est sûr que ça facilite les choses de savoir que tu as été choisi pour tes compétences et ta personne, pas par défaut ou parce qu’un tiers t’a recommandé.

Tu parles beaucoup de confiance. Quand elle n’est pas là, on doit dépenser beaucoup d’énergie pour convaincre son staff du bien fondé de ses méthodes ?
Quand on se fait confiance, tout est plus fluide. La confiance se gagne avec le temps, par les actes. Pour prouver, ça demande forcément du temps. La confiance se met en place progressivement et surtout, elle s’entretient au quotidien. Comme on a déjà travaillé ensemble un an et demi, le coach me connaît et il connaît mon travail. Si la confiance est toujours là, c’est qu’elle a été acquise puis maintenue. Le plus important désormais est de continuer à l’entretenir.

Pour maintenant entrer davantage dans le détail du métier de préparateur physique, comment définirais-tu la fonction ?
Le préparateur physique a pour objectif d’optimiser la performance individuelle et collective. Mais c’est une formule très réductrice et très vaste en même temps (rires). Cette recherche d’optimisation de la performance se fait en lien avec le projet de jeu car tout ce qu’on met en place a une finalité : gagner des matchs de foot. C’est un métier avec plusieurs dimensions. L’idée première étant d’avoir des joueurs les plus performants physiquement et ce, sur la durée d’une saison. La prévention des blessures, en lien avec le staff médical, est aussi un aspect primordial du métier car c’est peut-être bête à dire mais un joueur ne va pas pouvoir se développer s’il est blessé ! Quand ça arrive, il y a tout un travail avec le staff médical pour planifier et optimiser le retour du joueur à la compétition.

« La reprise est primordiale mais ça ne représente que 6 semaines sur 48 »

En tant que préparateur physique, la période de la reprise est-elle la plus importante de ta saison ?
C’est une période primordiale, pour le staff comme pour les joueurs mais ça ne représente que six semaines sur les 48 de la saison. La base de travail accumulée durant cette phase est très importante, que ce soit physiquement ou encore tactiquement, car ça conditionne le début de saison mais les semaines et les mois suivants sont tout aussi importants.

Peux-tu nous raconter les premiers jours au club après le retour des vacances ?
Pendant la trêve, les joueurs ont un programme de travail à respecter. Lorsque l’on récupère les joueurs, l’idée est d’abord de faire un état de lieux de leur forme physique avec un ensemble de tests médicaux et physiques. Pour les joueurs déjà présents au club la saison précédente, il est possible de comparer les valeurs. Pour les nouveaux joueurs, on fait en sorte de se faire une idée précise du profil du joueur, de son état à l’instant T. Ensuite, l’idée est de monter en puissance progressivement au cours de la préparation afin d’arriver prêt dès le début du championnat.

Est-ce que beaucoup de joueurs reviennent de vacances avec des kilos en trop ?
Non, c’est très variable. Il y a une vraie prise de conscience des joueurs. Au SCO, on a beaucoup de joueurs qui ont connu la Ligue 1 Uber Eats et qui connaissent très bien leur corps. Ils savent la nécessité d’être à leur poids de forme pour performer. Ils savent que c’est dans leur intérêt et que leur corps est leur outil de travail, qu’il faut en prendre soin. Il y aura forcément quelques profils qui vont revenir un peu au-dessus de leur poids de forme mais, en règle générale, les joueurs travaillent bien pendant la trêve estivale. De toute façon, s’ils ne respectent pas leur programme de travail pendant les vacances et qu’ils se retrouvent ensuite en difficulté par rapport au reste du groupe sur des exercices simples ou modérés, ça va se voir…

Revenons à la montée en puissance physique au cours de l’été. Comment s’organise-t-elle ?
Dans un premier temps, le travail est principalement axé sur du volume aérobie tout en étant dans une démarche de reprendre progressivement les gestes techniques spécifiques au football. Dans le même temps, on met en place un travail de renforcement musculaire. L’idée est d’ouvrir progressivement les espaces de jeux et de réduire les contraintes techniques pour arriver sur des situations de plus en plus spécifiques, en allant du continuum contrôle vers le chaos. L’intensité croît au fur et à mesure de la période pour tendre vers une intensité « de saison » et avoir une équipe capable d’être compétitive sur la durée d’un match voire plus.

« L’idée n’est pas de faire all in sur le premier match »

Faut-il que les joueurs soient au top physiquement pour la 1ère journée de championnat ?
Il faut bien sûr arriver le plus prêt possible pour le premier match de la saison car les entames de championnat sont primordiales et conditionnent en grande partie la suite. Il y a cependant un équilibre à trouver. L’idée n’est pas de faire all in sur le premier match. Il faut arriver le plus en forme possible au moment de la reprise de la compétition tout en étant le plus en forme possible sur les 37 matchs qui vont suivre.

Quel défi imposent les recrues par rapport aux joueurs déjà au club la saison précédente ?
La vraie différence se situe au niveau de la connaissance des joueurs. Une phase d’apprentissage et de découverte mutuelle sera nécessaire avec les recrues pour connaître le profil du joueur, ses antécédents niveau blessures, ses routines pré-entraînement et post-entraînement… Il faut aussi pouvoir travailler sur ses données physiques à l’entraînement, en match, le testing des années précédentes, connaître son profil de récupération… Un joueur déjà présent au club aura déjà un vécu avec le staff technique et le staff médical. Cette expérience commune crée des liens et des automatismes qui permettent d’optimiser le suivi.

As-tu ton mot à dire sur le nombre de matchs amicaux qui vont être disputés pendant la préparation et leur place dans le calendrier ?
En règle générale, oui. Le programme des matchs amicaux est réalisé dans le cadre de la planification de la présaison, établi à la fin de la saison précédente avec l’intégralité du staff. En ce qui me concerne, je suis arrivé au SCO durant la trêve, à un moment où les matchs amicaux avaient déjà été fixés.

Peut-on rattraper une présaison ratée sur le plan physique ?
Encore une fois, après la présaison, il reste plus ou moins 42 semaines de travail. Le travail réalisé en présaison est primordial mais le travail réalisé sur les 42 semaines qui suivent l’est tout autant. Le travail de présaison est une base pour la suite mais il n’y a pas de rupture entre la présaison et ce qui vient après. C’est primordial d’avoir une continuité dans le travail.

Nous sommes en plein Tour de France et on sait que la programmation des pics de forme des cyclistes peut être très précise. Selon les objectifs d’un club, programme-t-on des périodes de forme de la même façon ?
Il est difficile de dupliquer la préparation physique d’un sport tel que le cyclisme au football. Les cyclistes ont un programme de courses défini en amont, avec des courses espacées dans le calendrier, ce qui permet de rechercher des pics de forme avec un travail individualisé. Dans le foot, cette notion ne me paraît pas pertinente. Déjà, il est peu probable d’arriver à planifier un pic de forme sur la même période ou sur le même jour pour l’ensemble des joueurs. Au-delà de la faisabilité de la chose, si l’on recherche un pic de forme sur une certaine période, cela revient à accepter de ne pas avoir une forme optimale sur d’autres périodes. C’est difficilement concevable ! Dans un schéma compétitif comme le football, on travaille sur une dynamique de charge hebdomadaire avec une recherche de pic de forme au moment du match et ce, semaine après semaine, match après match.

Mais certains clubs ne travaillent pas de cette façon ? On peut penser aux clubs qui pourraient viser la période du printemps et la phase finale des coupes d’Europe…
J’espère pouvoir répondre à cette question d’ici quelques années (rires). Pour le moment, je ne me suis jamais retrouvé dans la situation où nous avions assez de marge pour « choisir » nos matchs.

« Adapter sa méthode à la philosophie de l’entraîneur »

Les fans de foot connaissent le nom de certains grands préparateurs physiques comme Antonio Pintus, qui est passé par Monaco, la Juventus et le Real, ou le Profe Ortega, proche collaborateur de Diego Simeone à l’Atlético. As-tu des modèles dans ta profession ?
Pas spécialement. J’essaie de grandir et de progresser au contact d’un maximum de ressources dans différentes thématiques et différents sports. Je lis, je me renseigne sur les méthodologies, j’assiste à des conférences, à des cours… Je suis très ouvert et je ne veux pas m’enfermer dans une idéologie ou dans une seule méthodologie. Je regarde ce qui se fait à droite à gauche, sachant que ce qui marche dans un contexte donné peut très bien ne pas fonctionner dans un autre contexte. Il ne faut pas chercher à répliquer tel quel tout ce qu’on peut voir. C’est pour ça que j’essaie aussi de faire attention aux effets de mode.

Tu as des exemples d’idées que tu as pu piocher ?
Ce qui me vient tout de suite en tête, ce sont les méthodes du préparateur physique espagnol Marcos Álvarez, qui a longtemps été au Bétis et qui faisait beaucoup d’activations collectives ludiques. Je m’en suis beaucoup inspiré. Pour le coup, ça, c’était quelque chose qui pouvait être répliqué sans souci et ça avait vraiment porté ses fruits en termes de cohésion.

Quelles différences y a-t-il dans ton métier d’un club à un autre, entre l’AC Ajaccio et Angers SCO notamment ?
La différence principale, c’est le staff et sa volonté. Il faut adapter sa méthode à une certaine philosophie, à l’organisation mise en place par l’entraîneur. Ça implique une grande capacité d’adaptation. Mais le travail en tant que tel reste le même : on se prépare pour être compétitif. Pour entrer davantage dans le détail, mon travail au SCO est différent de ce que je faisais à l’ACA car, ici, j’ai un autre préparateur physique avec moi, Jean-Jacques Batoum, ce qui me soulage énormément. Ça change beaucoup de choses dans l’organisation au quotidien.

Et maintenant, quelles sont les différences qui existent dans ton travail entre la Ligue 1 Uber Eats et la Ligue 2 BKT ?
Ici aussi, c’est sensiblement pareil, on travaille pour être le plus compétitif possible. Ce qui m’a le plus frappé en Ligue 1 Uber Eats, c’est le niveau des joueurs. Physiquement, ils sont beaucoup plus explosifs, beaucoup plus puissants, capables de répéter les efforts à haute intensité. Et tout ça avec une vitesse d’exécution technique bien supérieure. Toutes les erreurs se paient cash, ce qui est moins le cas en Ligue 2 BKT.

Quel est l’impact du style de jeu des entraîneurs sur ton travail ?
Il est en effet très important de s’adapter au style de jeu de l’entraîneur car la manière de jouer va imposer aux joueurs des efforts physiques spécifiques. A nous d’optimiser le travail afin que les joueurs soient en capacité de répéter ce type d’efforts spécifiques sur toute la durée d’un match. Mais un coach imprime sa philosophie de jeu de façon intégrée, à travers toutes les dimensions de l’entraînement, que ce soit sur la partie physique mais aussi sur la partie technico-tactique. Par exemple, un coach qui veut du contre pressing va demander ce type d’efforts à ses joueurs lors des exercices tactiques et techniques.

« Il ne faut pas que le travail réalisé en dehors soit un frein »

Avec le Mondial au Qatar et cette trêve à un moment inhabituel, la saison dernière a-t-elle représenté le plus gros challenge de ta carrière ?
C’est sûr que c’était quelque chose d’inédit et, en plus, c’était ma première saison en Ligue 1 Uber Eats, donc il n’y avait pas de recul sur les deux aspects. Ça ajoutait des contraintes nouvelles dans un contexte nouveau, ce qui faisait beaucoup de nouveautés ! Mais c’était une période plus excitante que difficile car on était dans une démarche de réflexion, de découverte, ce qui est très stimulant professionnellement car il faut trouver les solutions pour s’adapter à une nouveauté.

Certains joueurs s’appuient sur des préparateurs physiques personnels pour travailler en plus des séances effectuées au club. Comment gères-tu cela ?
On sait que ça existe donc l’idée est d’avoir le dialogue le plus régulier possible avec le joueur. Le risque est que le joueur ait une surcharge d’entraînement ou des axes de travail totalement différents. La quantification de la charge d’entraînement est un aspect primordial de notre métier mais il est difficile de quantifier le travail réalisé par un joueur en dehors des séances au club. Il faut que le travail réalisé en dehors soit une aide et pas un frein à la progression du joueur.

Les joueurs qui ont recours à des préparateurs extérieurs n’ont pas de mal à venir en parler ?
Honnêtement, je n’ai pas beaucoup rencontré ce souci lorsque j’étais à Ajaccio et, ici, je n’ai pas suffisamment de recul. Mais les 2-3 fois où c’est arrivé à Ajaccio, c’était sur du travail très spécifique et on en parlait en amont avec les joueurs. Les joueurs comprennent qu’on travaille bien au club et que s’ils ajoutent un complément, il faut que ce soit un complément adapté.

(Photo : SCO)