Interview

Dimitri Liénard : « Pas là pour faire le guignol »

Dimitri Liénard : « Pas là pour faire le guignol »

Interview
Publié le 13/09 à 19:06 - Arnaud Di Stasio

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Déjà en vue au SC Bastia, où il a rebondi après 10 ans à Strasbourg, Dimitri Liénard se livre sans langue de bois, comme à son habitude. Son adaptation, son nouveau rôle, son fort caractère, Régis Brouard ou encore la ferveur de Furiani… Entretien.

Tout d’abord, peux-tu nous expliquer pourquoi tu as choisi de signer à Bastia ?
Parce que je voulais jouer dans un club avec beaucoup de ferveur humaine, beaucoup de passion ! Les valeurs du Sporting correspondaient à ce que j’avais vécu à Strasbourg, aussi bien humainement que sportivement. Et puis, surtout, il y a ce projet d'essayer de faire remonter un club mythique en Ligue 1 Uber Eats. Je ne suis pas venu ici en vacances. Je l'ai clairement dit au président et au coach quand j'ai signé. Pas la peine de me parler de la mer ou de la qualité de vie ! C’est un plus bien sûr mais si je suis resté aussi longtemps à Strasbourg, près de ma famille, si je n’ai pas vagabondé durant ma carrière, c’est que ça n’a jamais été la priorité pour moi. Ce qui compte, c’est le projet du club et ses valeurs. Comme en Alsace et au Racing, il y a un attachement à la terre, une forte identité… C’est ce qui m’a plu à Bastia, avec la perspective de faire remonter le club. Le Sporting a tout de même fini 4e de Ligue 2 BKT la saison dernière, ça en dit long.

La montée est un objectif clairement affiché par les dirigeants ?
Non, ils ne m'ont rien dit, c'est davantage un objectif personnel. J’ai toujours été très exigeant avec moi-même. J'ai grandi avec Strasbourg, un club qui est reparti de très bas, un peu comme Bastia. Personnellement, je rêvais de jouer en Ligue 1 Uber Eats un jour mais je ne pensais pas que ça arriverait. J'ai réussi à le faire avec Strasbourg donc je me dis que je suis né sous une bonne étoile et pourquoi ne pas vivre la même chose avec Bastia !

Justement, comment définirais-tu les valeurs du Sporting ?
Je m’étais renseigné avant de signer ici et, encore une fois, ce qui ressort, c’est l’identité forte du club, ses valeurs. L’état d’esprit passe avant tout. Ici, on préfère peut-être un joueur un peu moins flamboyant mais qui va mouiller le maillot, qui va s'arracher et mettre la tête où certains n’oseraient pas mettre le pied. Un peu comme à Strasbourg, ce sont ces valeurs qui font exister un club comme Bastia. Il n’y a pas de Neymar ou de Ronaldo dans l’équipe. Ce qui a fait la force de Bastia, c’est l'état d'esprit, le fait que le collectif prime sur l'individualité.

« Ça ne m’intéressait pas de jouer devant 3 000 personnes »

Le SC Bastia et le RC Strasbourg Alsace sont deux clubs réputés pour leur chaud public. A quel point est-ce un élément qui a compté au moment de choisir ta destination cet été ?
Ça a été un élément clé. Je l’ai dit ouvertement : je n’aurais pas pu aller dans un club où il n’y a pas de passion forte. J'ai été contacté par plusieurs clubs cet été et, sans dénigrer qui que ce soit, j’ai rejeté certaines offres tout de suite car ça ne m’intéressait pas de jouer devant 3 000 personnes. Avec ce que j’ai vécu depuis 10 ans, c’était impossible !

Au-delà de ces 10 ans à Strasbourg, tu as toujours vécu dans l’Est, toi qui es né à Belfort et qui as été formé à Sochaux. Est-ce que ça fait un peu peur de se lancer dans une nouvelle aventure ?
Oui, clairement (rires) ! A mon âge, il me restait ce défi à relever. Les gens qui me voyaient rester dans le même coin pouvaient penser que j’avais peur de sortir de ma zone de confort mais la réalité de sportif de haut niveau est toute autre. Déjà, réussir à faire 10 ans dans le même club, c’est très rare. Il faut se remettre en question tout le temps : tous les ans, tous les mois, tous les jours ! Tu ne peux pas te reposer sur tes lauriers, surtout que, comme je l’ai dit, je ne suis pas Neymar ou Mbappé ! Et quand tu es dans un club depuis longtemps, on te fait encore moins de cadeaux, on va te pointer du doigt plus facilement. « Il n’a plus le niveau », « Il a fait son temps »… Voilà ce que tu peux entendre. Donc il fallait se remettre en question. Mais c’est vrai que là-haut, j’avais un certain confort et que j’avais besoin d’un nouveau challenge. Je voulais voir autre chose, me faire ma place dans un nouveau club et un nouvel environnement. Rien n’est jamais garanti.

C’est-à-dire ?
On a vu de très bons joueurs changer de club et ne plus réussir à évoluer au même niveau. Et encore une fois, c’était la première fois que je bougeais de ma région de toujours. Je me demandais si j’en étais capable et, comme j’aime relever de nouveaux challenges, je ne voulais pas arrêter ma carrière sans tenter ça. Si j’avais voulu rester dans ma zone de confort, j’aurais pu rester au Racing et accepter la proposition de reconversion du club mais j’avais envie de voir ce que j’avais encore dans le bide et tenter une nouvelle expérience aussi bien humaine que sportive.

« Je savais que j’allais être attendu au tournant »

Tes débuts avec Bastia se déroulent plutôt pas mal, que ce soit sur le plan collectif (6e au classement) ou individuel (1 but et 2 passes décisives en 5 matchs). Tu t’attendais à marcher aussi fort d’entrée ?
Je vais dire oui car je sais de quoi je suis capable. Attention, je ne suis pas quelqu'un qui aime se mettre en avant ou se lancer des fleurs. Je suis travailleur, humble… Et si je fais ce métier, c’est pour procurer des émotions aux gens qui viennent au stade. J’aurais pu rester en Ligue 1 Uber Eats mais j’avais envie de changement. Personnellement, je pense que j'ai encore le niveau Ligue 1 Uber Eats et je savais qu’en redescendant en Ligue 2 BKT, j’allais être attendu au tournant mais, Dieu merci, ça s’est tout de suite bien passé avec Bastia. Lors de notre premier match à Furiani, contre Valenciennes, je fais une bonne performance et je marque le premier but. Le deuxième match, contre Troyes, on gagne encore et je fais deux passes décisives… Je ne m'attendais pas à être aussi décisif tout de suite donc je suis content. Et encore, je suis déçu car sur le dernier match avant la trêve, à Grenoble, j’avais chopé une gastro ou une intoxication alimentaire et je n’étais vraiment pas bien les deux jours avant le match. Résultat : j’ai été obligé de me faire remplacer à la mi-temps.

Pour rester sur l’adaptation, je vois que tu prononces déjà Furiani avec l’accent corse !
(Rires) A force de l’entendre… Les Corses sont très attachés à leur identité. Souvent, l’erreur que les gens du continent font, c’est qu’ils essaient de se transformer en Corses. Moi, je ne vais pas me transformer, je vais respecter leurs valeurs et apporter ce que j’ai appris ailleurs. Sur le match contre Troyes, j’avais par exemple dit à mes coéquipiers qu’il fallait se servir du public comme d’un 12e homme mais qu’il ne fallait pas perdre en lucidité ou surjouer pour autant. On a un public chaud mais on n’a jamais vu un supporter mettre un but. Il faut se servir de cette énergie de façon positive et ne surtout pas en faire trop.

Après six ans en Ligue 1 Uber Eats, tu retrouves donc la Ligue 2 BKT. Pour toi, quelles sont les principales différences entre les championnats ?
Je n’avais plus beaucoup de souvenirs de Ligue 2 parce qu’avec Strasbourg, on n’y avait passé qu’une saison (champion de National 2016, le Racing avait été sacré champion de Ligue 2 BKT un an plus tard). Mais je me souvenais de l’importance des coups de pied arrêtés. On avait Jérémy Blayac, Kader Mangane, Baptiste Guillaume ou encore Jérémy Grimm et on avait beaucoup marqué comme ça. Il faut aussi une équipe bien en place, solide, car c’est plus athlétique, avec un jeu un peu plus direct qu’en Ligue 1 Uber Eats. Ici, c’est un peu moins tactique et technique mais j’ai vu des joueurs réaliser de ces rushes… Il y a des joueurs très forts intrinsèquement mais qui doivent parfois progresser encore un peu dans la vision de jeu. Après, ça va de soi, il y a une petite différence de niveau entre les deux divisions et tout le monde a le droit de progresser. Moi, par exemple, je n’ai pas de grosses qualités. Je ne vais pas vite, je ne saute pas haut, je ne suis pas un dribbleur… Mais j’ai un pied gauche et j’ai su m’adapter quand je montais de niveau, quand je changeais de poste…

« Sur le terrain, je peux être un peu casse-couilles »

Peux-tu nous parler de tes premières semaines avec Régis Brouard ?
C'est un coach proche de ses joueurs, qui les aime, qui les défend… Il fait parfois de la pédagogie car on a plusieurs joueurs qui n’ont pas eu un parcours classique, qui viennent du monde amateur, un peu comme moi. Ses résultats ici parlent pour lui car le club n’a pas forcément les meilleures infrastructures du championnat. Ça montre qu’il a réussi à donner un excellent état d’esprit à son groupe, à mettre le collectif au-dessus de tout.

Régis Brouard est réputé pour faire évoluer le jeu de certains de ses joueurs. Est-ce qu’il a évoqué avec toi certains aspects particuliers même si tu es plus expérimenté ?
Pas encore. Il sait que j’ai bientôt 36 ans même si je pense qu’on en apprend tous les jours. Le coach a vu que j’étais perfectionniste, que je ne laissais rien au hasard, comme me l’ont appris des entraîneurs comme Frédéric Antonetti, Julien Stéphan ou Thierry Laurey. Sur le terrain, je peux être un peu chiant, un peu casse-couilles, donc il faut que j’utilise les bons mots pour me faire comprendre par mes coéquipiers et les motiver. Il faut que je puisse amener mon expérience mais de la bonne façon. C’est forcément différent avec des nouveaux coéquipiers qu’avec des gars avec qui je jouais depuis plusieurs années. A Bastia, plusieurs joueurs viennent du monde amateur, comme moi quand je suis arrivé à Strasbourg, où je n'avais pas forcément tous les codes du professionnalisme.

C’est-à-dire ?
J'ai dû apprendre sur le tas. On s’adapte à un nouveau cadre, à de nouvelles règles… Par exemple, au début, je ne me rendais pas compte de l’importance du travail en salle avant les séances, après les séances, du travail invisible, de la ponctualité… Plein de petites choses qui t’aident à réaliser une bonne saison et que tu penses secondaires au début. Par exemple, quand je suis arrivé à Strasbourg, j’habitais Belfort. Comme ça me faisait un peu de route, je ne faisais pas souvent de travail en salle avant l’entraînement et Jérémy Blayac m’en avait parlé. Depuis mes 27-28 ans, j’ai pris cette habitude d’activer mon corps et, aujourd’hui, ce serait inimaginable de ne pas le faire. Les gens pensent que l'entraînement, c’est 1h30 et basta, mais non, il y a plein de choses autour.

« Si je descendais d’une division, c’était pour avoir les clefs du camion »

Après avoir beaucoup joué à gauche ces dernières saisons, tu as été repositionné dans l'axe...
C’était une envie de ma part et j’en avais parlé à mes agents au moment de me trouver un nouveau club. A Strasbourg, c'est Julien Stephan qui m'a mis dans le couloir gauche parce qu’on avait des absents. Ça avait fonctionné et on avait vécu une saison extraordinaire. Mais je suis un joueur qui aime bien prendre les choses en main, qui aime être en action plus qu’en réaction, donc je préférais être dans le cœur du jeu pour avoir davantage d’influence, calmer le jeu, accélérer le jeu ou gueuler un coup quand il le faut ! Dans le couloir, c’est différent, on est sur des efforts brusques, par intermittence. Ça a été un plaisir de jouer dans le couloir avec Strasbourg car on était en Ligue 1 Uber Eats et que j’ai toujours fait passer le collectif d’abord. Mais là, j’avais envie de rejouer dans l’axe et, si je descendais d’une division, c’était pour avoir les clefs du camion, pas pour subir.

Tu as longtemps été capitaine à Strasbourg, où tu étais reconnu comme un des ambianceurs du vestiaire. Comment on s’intègre dans un nouveau groupe quand on a une telle personnalité ?
C'est bien aussi de se faire plus discret ! Plus sérieusement, j’avais un peu souffert à mon arrivée à Strasbourg, en National, où je n’avais pas forcément été très bien accueilli par les anciens donc, plus tard, j’ai toujours fait en sorte de mettre à l’aise et d’intégrer les nouveaux. C’était la moindre des choses. De toute façon, j’ai rarement eu de problèmes dans le vestiaire même si je suis un peu un vieux con par moments. Les mecs qui ont joué avec moi diront que j’ai toujours été accessible. Aujourd’hui, j’ai presque 36 ans donc je me suis assagi. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que je reste dans mon coin à Bastia mais je fais preuve de maturité. Il y a des moments pour rire mais aussi des moments où il faut travailler. Je suis là avant tout pour apporter mon professionnalisme et mon expérience, pas pour danser sur les tables et faire le guignol. Le plus important, c’est la performance.