Oualid El Hajjam (Havre AC).
Interview

Oualid El Hajjam : « C’était agaçant d’entendre parler de chance »

Oualid El Hajjam : « C’était agaçant d’entendre parler de chance »

Interview
Publié le 14/06 à 17:28 - NM

Partager

L’élection du guerrier du match, le « grand frère » Mathieu Bodmer, le devin Luka Elsner… Le speaker officieux du HAC et spécialiste des montées Oualid El Hajjam raconte les coulisses de la saison exceptionnelle du champion de Ligue 2 BKT.

Un peu plus d’une semaine et demie après votre titre de champion de Ligue 2 BKT, réalisez-vous la saison que vous venez d’accomplir avec Le Havre ?
Je ne m’en rends pas totalement compte. C’est quand j’échange avec mes proches ou des personnes qui nous ont suivis toute la saison que je prends conscience de ce qu’on vient de réaliser. On me parle souvent des records qu’on a battus et c’est quelque chose que je ne savais pas forcément au fil de la saison. Quand tu enchaînes les matchs, tu es tellement concentré que tu ne fais pas attention à tout cela, hormis notre série d’invincibilité. Ce record-là, on en entendait souvent parler !

A titre personnel, il s’agit de votre 3e montée en Ligue 1 Uber Eats. Où la placez-vous par rapport à vos deux précédentes avec l’Amiens SC et l’ESTAC Troyes ?
Elle est particulière ! Au niveau de la vie de groupe, du travail, des entraînements et de la progression du groupe, c’est la plus aboutie. Quand on regarde la jeunesse de l’effectif et les nombreuses arrivées l’été dernier, progresser de cette manière en si peu de temps, c’est exceptionnel. Personne ne nous attendait à ce niveau ! Après, à Amiens, c’était aussi une surprise pour tout le monde, c’était historique pour le club, donc c’était également quelque chose d’exceptionnel. A Troyes, on avait énormément de joueurs d’expérience, on jouait d’une manière particulière, c’était aussi très fort, mais on concédait plus d’occasions. Puis, le club avait l’habitude de monter, alors que Le Havre attendait ça depuis très longtemps (14 ans). Chaque montée a une saveur différente.

A votre arrivée l’été dernier, qu’est-ce que vous auriez répondu si on vous avait dit que vous finiriez champion ?
J’ai rejoint le club pour jouer la montée dans les deux ans. Ce n’était pas un choix au hasard. Tout était cohérent dans le projet proposé. Après, quand la prépa est arrivée, c’est sûr que l’effectif était très jeune et que la montée n’était pas une évidence, mais il y avait beaucoup de qualités. Le risque, c’était de ne pas réussir à tenir sur la durée ou de ne pas savoir gérer certains moments de la saison. Finalement, nos jeunes était de jeunes « vieux », je dirais même très vieux dans leur état d’esprit. Arouna Sangante, par exemple, j’avais l’impression que c’était un ancien de 35 ans, tellement il se montrait pro et dégageait de l’assurance. Mais cela vaut également pour : Amir Richardson, Josué Casimir, Yassine Kechta… Ils répondaient tous présents et c’est pour cela qu’on a réalisé une telle saison.

« Tout ce que nous disait Luka Elsner avant les matchs se vérifiait à 90% sur le terrain »

A quel moment avez-vous commencé à croire à la montée en Ligue 1 Uber Eats ?
Déjà, lors du dernier match de préparation face à Dijon (défaite 1-0), qui était un potentiel prétendant à la montée, on a été rassuré par rapport à nos premiers amicaux. Puis, les premiers matchs de championnat sont arrivés, on était très cohérent au niveau du jeu mais il manquait un petit truc. Finalement, on a eu un déclic à Saint-Etienne (0-6, J4). C’est un match qui a permis à nos joueurs offensifs de se mettre en confiance et, tout simplement, de lancer la machine. A partir de là, on a commencé à enchaîner et tout le monde a pris conscience, sans aller jusqu'à parler de montée, qu’on n’avait pas de complexe à avoir et qu’on pouvait peut-être faire quelque chose.

Votre solidité défensive et votre cohésion de groupe ont fait votre force tout au long de la saison. Pouvez-vous nous en parler ?
On a un coach et un staff très rigoureux. Il faut le souligner : ils nous ont fait énormément progresser. On travaillait beaucoup. Dans la semaine, de nombreuses séances étaient doublées, et le groupe supportait très bien cette charge de travail. Tout le monde aimait bosser et ne cherchait qu’à progresser. On était en parfaite harmonie avec le coach et son staff qui nous poussaient à toujours donner le meilleur de nous-mêmes. Ils nous corrigeaient sur des détails et nous montraient ce qu’il fallait améliorer. Le coach nous prenait aussi en séance individuelle pour appuyer sur des points bien précis. Puis, tout ce qu’il nous disait avant les matchs se vérifiait à 90% sur le terrain. Donc, dans ce cas-là, au lieu de te dire : « Qu’est-ce qu’il raconte lui ?! », tu écoutes et tu travailles. Résultat : tu progresses et tu prends beaucoup de plaisir. Mais travailler aussi durement en prenant du plaisir, c’est rare dans le foot !

L’adhésion du groupe au style de jeu de Luka Elsner a été totale…
Sincèrement, quand tu prends autant de plaisir, que tu maîtrises autant les matchs et que tu ne concèdes quasiment pas d’occasions, tu ne peux qu’adhérer au projet collectif du coach. D’ailleurs, il y a une certaine justice dans l’équilibre des statistiques entre joueurs. Quand on voit que quasiment chaque joueur a marqué ou délivré une passe décisive, ça prouve qu’on était un vrai collectif. Certes, aucun joueur n’est ressorti offensivement, mais c’est aussi parce que tout le monde travaillait pour l’équipe.

Le manque de statistiques de vos joueurs offensifs est quand même le petit point noir de cette saison…
C’est vrai que c’est ce qui nous a un peu manqués et qui nous aurait peut-être facilité certains matchs. Mais, en toute lucidité, le travail fourni par les offensifs a été fantastique. Ils jouaient tous pour l’équipe. C’est quelque chose qui n’a pas été assez mis en avant. C’est sûr qu’à la fin des matchs, ils devaient être un peu frustrés et on savait qu’ils auraient aimé être plus prolifiques mais ils ont été fondamentaux dans la manière de jouer voulue par le coach.

« On pouvait aller jusqu’à faire des tennis-ballon avec Mathieu Bodmer »

Pour revenir au coach, Luka Elsner avait mis beaucoup de choses en place pour favoriser la cohésion de groupe. Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Les lendemains de victoire, le coach avait mis en place une élection de guerrier du match et un mur des victoires. On arrivait le matin et celui qui avait été élu accrochait la photo de groupe qu’on avait pris à la fin du match. Il devait également faire un petit discours. C’était marrant car on se chambrait toujours. Au début, le rendu du mur n’était pas forcément marquant, puis quand tu arrives à 20 victoires, il devient exceptionnel. Tu prends conscience du chemin parcouru. Après, on faisait également des activités ensemble qui permettaient de passer de très bons moments au centre d’entraînement ou en dehors. De toute façon, la vie de groupe était exceptionnelle. Tout le monde s’entendait bien, personne ne se considérait au-dessus des autres.

Il y avait également une histoire de viennoiseries, non ?
Quand on faisait des clean sheets, on avait le droit à des croissants et des pains au chocolat le lendemain au décrassage. On en rigolait parfois entre nous, notamment avec Arthur Desmas, en disant que c’était la raison pour laquelle on enchaînait les matchs sans prendre de but. C’était toujours sympa d’avoir cette récompense !

Le recrutement et le travail du directeur sportif Mathieu Bodmer ont souvent été loués au fil de la saison. Quelle place occupait-il au quotidien dans la vie du groupe ?
C’était un peu comme un grand frère. Il était souvent présent et quand il prenait la parole, on savait que ce n’était pas pour rien, on était tous à l’écoute et il nous faisait prendre conscience de certaines choses. Quand tu as affaire à des personnes qui connaissent le foot et qui savent ce qu’ils disent, tu es forcément plus réceptif. Du choix du coach aux joueurs qu’il a recrutés, il n’y a rien à dire. Il était proche du groupe, c’est un directeur sportif moderne. C’est ce qu’il faut aujourd’hui dans les clubs de foot. On pouvait aller jusqu’à faire des tennis-ballon où on s’amusait et se chambrait comme s’il faisait partie du groupe. Il a ce côté humain qui manque parfois dans certains clubs.

Vous avez réalisé une incroyable série de 32 matchs sans défaite, battant le record d’invincibilité sur une saison et égalant celui du CS Sedan sur deux saisons consécutives. A quel point cela constituait une source de motivation au sein du groupe ?
Sincèrement, on en parlait très peu. Ce n’était pas du tout le leitmotiv du coach. Notre but, c’était d’obtenir le meilleur résultat à chaque match, mais au fur et à mesure, on a commencé à se prendre au jeu et à se dire que ce serait sympa de laisser notre nom dans l’histoire du football français. Donc, c’est vrai que cela a pu nous motiver, notamment à la fin, mais pas plus que cela non plus. Après, quand on arrivait à accrocher un match nul, au lieu d’être frustré, on se disait qu’on continuait sur une bonne série et ça nous réconfortait un peu.

« L’efficacité n’a rien à voir avec la chance »

Certains adversaires et supporters parlaient parfois de chance à l’égard des résultats du Havre AC. Est-ce aussi quelque chose qui vous donnait un élan de motivation dans le vestiaire ?
Ce qui est important de savoir, c’est qu’on a toujours su qu’on ne survolait pas forcément ce championnat au niveau de nos résultats. On avait parfaitement conscience de nos forces et de nos manques. D’ailleurs, je disais souvent au groupe : « En Ligue 2 BKT, tous les matchs sont difficiles, n’importe quelle équipe peut nous battre. » Mais tout le monde avait conscience de cela, donc on n’était pas surpris quand on gagnait qu’un à zéro contre le dernier du championnat. Après, quand on voit la charge de travail qu’on s’imposait, la rigueur qu’on mettait, le travail du coach et l’investissement de chacun, on ne peut pas parler de chance ou de réussite. Par exemple, quand on a perdu contre Annecy, c’est parce qu’on a n’a pas été efficace. Tu ne peux pas dire que tu n’as pas de chance quand tu n’es pas efficace. L’efficacité n’a rien à voir avec la chance. Nous, sur le terrain, on savait qu’on avait tout mis en œuvre la semaine pour obtenir un résultat le week-end, donc on était plus serein, on savait que ça finirait par tourner en notre faveur. Mais c’est vrai que c’était parfois agaçant d’entendre parler de chance, on souffrait tellement chaque semaine, que c’était déplacé.

Après avoir longtemps très bien géré un large matelas d’avance sur vos concurrents, vous avez un peu craqué lors des derniers matchs. Comment l’expliquez-vous ?
Dans une saison, tu as beau connaître des moments forts, tu sais aussi que tu vas avoir un coup de moins bien à un moment donné. Et c’est arrivé sur cette fin de saison avec la blessure de Yassine Kechta. Ça a mis un grain de sable dans la machine et, même si Oussama Targhalline s’est très bien intégré dans le onze, il a fallu un temps d’adaptation. En plus de cela, la fatigue commençait à arriver sur les derniers matchs, surtout qu’à la fin, ça ne se jouait qu’au mental. Donc, cette mauvaise passe est arrivée au bon moment, car on avait déjà fait une bonne partie du travail et il ne nous restait plus qu’à conclure. Mais c’est sûr qu’on est allé chercher cette montée dans la douleur alors qu’on aurait pu se faciliter la tâche bien avant. Après, si au début de saison, on nous avait proposé de jouer la montée lors de notre dernier match avec trois points d’avance sur nos concurrents, on aurait signé. Et c’est ce qu’il ne fallait pas oublier ! C’est pour cela qu’on était très serein à la fin.

Par rapport à votre expérience des montées, avez-vous été sollicité dans cette période de creux ?
Beaucoup ! J’essayais de transmettre au groupe une certaine tranquillité. Je leur disais que j’avais vécu deux montées avec Amiens qui s’étaient conclues lors des deux dernières journées avec des scénarios exceptionnels. Donc, je répétais qu’il ne fallait pas se tracasser, que si ça devait arriver, ça arriverait, que ce qu’on faisait était toujours exceptionnel et qu’on était encore en très bonne position. Il ne fallait pas céder à la panique. Mais, à la fin, c’est vrai qu’on en discutait beaucoup, à la salle de muscu ou dans le vestiaire. On était proche du but donc il fallait éviter que tout le monde ne se pose trop de questions.

Au-delà de ça, on vous voyait souvent prendre la parole au sein du groupe. Pouvez-vous nous parler de votre rôle ?
Je ne suis pas quelqu’un qui parle pour rien ou qui fait le comédien, j’essaie avant tout de montrer l’exemple par le travail et sur le terrain. Quand tu vois une personne qui se donne tout le temps à fond, tu ne peux qu’essayer de suivre son exemple. Après, effectivement, avec le respect qu’on avait entre nous, c’était agréable de prendre la parole et d’apporter ce que je pouvais apporter sans être trop lourd non plus.

« On a réussi à créer une vraie famille »

Vous étiez aussi le deuxième speaker du Stade Océane…
C’est vrai que j’avais pris des petites habitudes après les victoires (rires). J’aimais bien prendre le micro et communier avec les supporters. C’était assez marrant et toujours un grand moment de plaisir. Quand tu arrives à un certain âge (32 ans), tu essaies de profiter au maximum de chaque instant et de croquer la vie à pleines dents, donc, dès que j’en avais l’opportunité, je le faisais à fond.

Pour revenir au terrain, savez-vous combien de ballons vous avez touché cette saison ?
J’ai vu la stat', je crois que c’est plus de 2500 (2810, deuxième joueur avec le plus haut total derrière Christopher Operi, 2861). C’est pas mal hein !

Cela met en exergue l’importance des latéraux dans le système de Luka Elsner…
Totalement. C’était un système très malléable et on était toujours amené à beaucoup réfléchir, à s’adapter les uns par rapport aux autres et à créer des situations. Le coach nous proposait vraiment beaucoup de solutions en fonction des adversaires. Au fur et à mesure des matchs, on avait beaucoup de cartes entre les mains pour parvenir à mettre en difficulté nos adversaires. Mais c’est sûr que le rôle des latéraux était important, j’avais un rôle un peu différent de Christopher, mais cela nous permettait d’avoir un très bon équilibre dans l’équipe. Puis, si on a touché autant de ballons, c’est aussi car on gardait beaucoup le ballon dans notre camp, on repartait de derrière et on faisait tourner le ballon pour fatiguer l’adversaire. Et une fois qu’on ouvrait le score, c’était aussi très agréable de savoir faire tourner le ballon et gérer notre avantage. C’était l’une de nos forces.

Pour finir, comment résumeriez-vous cette saison exceptionnelle ?
Je vais un peu me répéter mais ce qui m'a marqué, c’est d’avoir pris autant de plaisir, surtout à mon âge. J’étais venu au club pour kiffer et c’est exactement ce qui s’est passé. Quand on joue au foot, prendre du plaisir et progresser, c’est ce qu’on recherche. Je suis très heureux d'avoir pu allier les deux cette saison ! Puis, au-delà de ça, avoir pu rencontrer de telles personnes et être dans un tel groupe, c’est juste incroyable. Des plus jeunes aux plus anciens en passant par le staff, on a réussi à créer une vraie famille où tout le monde s’entendait très bien.