Interview

Luka Ilić : « J'ai été obligé de mûrir très vite »

Luka Ilić : « J'ai été obligé de mûrir très vite »

Interview
Publié le 13/03 à 15:59 - Arnaud Di Stasio

Partager

Buteur pour son retour ce week-end, Luka Ilić veut reprendre le fil d’une saison commencée très fort. Manchester City, l’Étoile Rouge Belgrade, son parcours parfois compliqué, sa famille de sportifs professionnels… Entretien avec le milieu serbe de l’ESTAC.

Après plusieurs semaines d’absence, tu as marqué pour ton retour samedi. De quoi reprendre le fil d’une belle saison sur le plan personnel puisque tu as marqué 5 buts et donné 3 passes décisives en 15 matchs…
Oui, cette saison, ça s’est bien passé dès le début. Je me sens bien depuis mon retour de prêt (il a passé la saison 2022/2023 au TSC Bačka Topola, en Serbie, pour 8 buts en 29 matchs), je suis heureux de pouvoir aider l’équipe. Je fais tout ce que je peux pour maintenir ce niveau de performances quand je joue et m’améliorer encore. Si je joue mon meilleur football cette saison ? Je ne pense pas. J’en suis proche mais il y a encore pas mal de marge, j’étais mieux chez les jeunes ou même la saison dernière. Mais je suis sur la bonne voie.

« On m’a simplement donné ma chance »

Pour revenir un peu en arrière, que savais-tu de l’ESTAC avant ta signature en janvier 2022 ?
Je savais que c’était un club de Ligue 1 Uber Eats. Et ensuite, j’ai tout fait pour m’intégrer au plus vite, me renseigner sur le club et les joueurs de l’équipe comme Renaud Ripart, Florian Tardieu, Gauthier Gallon… J’étais content d’avoir cette opportunité car j’étais dans une mauvaise passe avec Twente, aux Pays-Bas, où je jouais peu.

Pendant tes six premiers mois à l’ESTAC, tu n’as pas eu l’opportunité de jouer en équipe première et cette saison, tu es l’un des meilleurs joueurs du club. Qu’est-ce qui a changé entre ces premières semaines à Troyes et aujourd’hui ?
Rien. On m’a simplement donné ma chance. Comme je l’ai dit plusieurs fois, honnêtement, je ne comprends toujours pas pourquoi je n’ai pas eu ma chance lorsque je suis arrivé ici. Mais c’était comme ça… Je ne sais toujours pas ce qu’il s’est passé à l’époque mais c’est du passé, je n’y pense plus.

« J’ai été obligé de mûrir très vite »

Pour maintenant parler de tes jeunes années, tu as été formé à l’Étoile Rouge Belgrade, où tu as intégré l’équipe première très tôt…
Si je me souviens bien, je devais avoir 16 ans quand j’ai commencé à m’entraîner avec le groupe pro donc j’étais très jeune ! C’est un club très particulier pour moi et c’est une période dont je me souviendrai toute ma vie.

Comment fait-on lorsque l’on se retrouve au milieu de joueurs expérimentés à seulement 16 ans ?
C’était difficile sur certains aspects bien sûr parce j’étais dans un club mythique, avec beaucoup de très bons joueurs, forcément plus âgés que moi. Dans un club comme l’Étoile Rouge, il y a tellement de pression que j’ai été obligé de mûrir très vite, ce qui m’a m’a aidé pour la suite de ma carrière, c’est sûr. Physiquement ? Je me suis assez vite adapté finalement, notamment parce que le championnat serbe n’est pas si physique.

En parlant de pression, la Serbie est réputée pour ses chaudes ambiances. Peux-tu nous raconter ?
C’est incroyable. Pour moi et - je pense - pour tous ceux qui ont la chance de connaître le foot en Serbie, ce sont parmi les supporters les plus fous du monde. Il y a énormément d’attentes autour de chaque match et il faut toujours gagner. Peu importe comment, il faut gagner (rires). Je me souviendrai toujours de l’ambiance au Marakana lorsqu’on a gagné le championnat. Je n’ai pas eu la chance de disputer des matchs européens avec l’Étoile Rouge mais j’imagine bien ce que ça peut donner !

« Manchester City ? L’Étoile Rouge ne pouvait pas refuser l’offre »

Lors de l’été 2017, quelques jours après ton premier match officiel avec l’Étoile Rouge, tu as été transféré à Manchester City en compagnie de ton petit frère Ivan. Dans quel état d’esprit étais-tu à l’époque alors que tu n’avais que 18 ans ?
C’est arrivé très vite. J’étais bien sûr heureux et tout excité de signer dans un si gros club avec mon frère à un si jeune âge. Manchester City nous a repérés lorsque l’on jouait avec les équipes de jeunes de la Serbie. L’Étoile Rouge traversait une période compliquée et les dirigeants ne pouvaient pas refuser l’offre qui leur a été faite. Mais lors de la saison qui a suivi notre départ, l’Étoile Rouge a fait un beau parcours en Europa League donc je suis content d’avoir pu contribuer à ma façon à ce que le club fasse quelque chose de bien.

Même si tu as beaucoup été prêté, que retiens-tu de ton expérience à Manchester City ?
J’étais surtout avec les U21 ou les U19. Quand j’ai été transféré là-bas, je suis tout de suite revenu à Belgrade en prêt. Et ensuite, j’ai de nouveau été prêté, cette fois aux Pays-Bas, donc je n’ai jamais passé de très longues périodes avec Manchester City. C’était surtout lors des périodes de reprise. Malheureusement, la plupart du temps que j’ai passé à Manchester, c’était parce que j’étais blessé et que je venais m’y remettre en forme.

À partir de 2018, tu as passé trois ans et demi en prêt aux Pays-Bas. Est-ce difficile d’arriver dans un nouveau club avec cette étiquette « Manchester City » ?
C’est sûr qu’il y a pas mal d’attentes. Mais partout où je suis allé, j’ai essayé de faire de mon mieux et d’aider mes équipes au maximum. Parfois, j’ai été bon, parfois, moins. En tout cas, ça s’est toujours bien passé avec mes coéquipiers alors qu’ils auraient pu être dans le jugement et ne rien me pardonner. Par exemple, ça s’est très bien passé en Serbie l’an dernier donc si ça s’est bien passé là-bas, je pense que ça se passera bien partout (rires).

Alors que tu n’as que 24 ans, tu as déjà passé presque six saisons en prêt, entre l’Étoile Rouge, Breda, Twente et Bačka Topola. Comment on gère ça mentalement ?
C’est dur parce que tu ne sais pas toujours de quoi sera fait ton avenir donc tu penses à plein de choses. C’est dur d’être prêté.

« Ma mère était internationale yougoslave »

Lors des premières années de ta carrière, tu as traversé des bons moments et des périodes plus difficiles. À quel point ça t’a aidé de venir d’une famille où le sport représente beaucoup ?
C’est vrai que ça aide beaucoup de pouvoir compter sur des gens qui te poussent dans la bonne direction, qui te disent quoi faire ou ne pas faire. J’ai connu des périodes difficiles mais j’étais jeune, sans expérience… Malheureusement, jusqu’ici, j’ai eu plus de mauvaises périodes que de bonnes (sourire) mais oui, ça aide beaucoup de pouvoir compter sur des « mentors » dans sa propre famille. Ma mère était basketteuse de haut niveau et mon père a joué au foot au niveau amateur, sans oublier que c’est un grand supporter de l’Étoile Rouge. Leurs conseils ? Du classique comme : « Donne tout », « Respecte tout le monde si tu veux être respecté »…

Peux-tu nous parler un peu de ta maman Danijela ?
Elle était basketteuse professionnelle et internationale yougoslave (vice-championne du monde en 1990). Elle a joué pour différents clubs en Yougoslavie. Mais c’est à peu près tout ce que je sais car, pour être honnête, je n’ai pas pu regarder beaucoup de ses matchs. Mais j’ai beaucoup entendu dire que c’était une joueuse incroyable. Et pas seulement dans ma famille ! En Serbie, ça m’arrive souvent de rencontrer quelqu’un de sa génération qui me parle d’elle.

J’ai lu qu’elle était ensuite devenue coach...
Elle est devenue coach quand j’avais 7-8 ans et mon frère 5-6 ans. Elle entraînait en D1 serbe. Quand on terminait l’école, on allait voir ses entraînements. Elle était très stricte ! Peut-être qu’inconsciemment, on a retenu certains trucs en l’observant mais elle ne nous donnait pas de conseils spécifiques.

Elle était aussi stricte comme maman que comme coach ?
Non (rires), c’était une maman tout à fait normale !

Le foot et le basket sont des sports très différents mais est-ce que tu as pu transposer certaines choses ?
Bien sûr ! J’aime d’ailleurs jouer au basket sur mon temps libre. Il y a toujours des petites choses à aller chercher dans les autres sports, notamment sur le plan mental.

« Avec Ivan, on se connaît sur le bout des doigts »

Peux-tu maintenant nous parler de ta relation avec ton petit frère Ivan, qui est international et joue au Torino ?
On a une relation très spéciale. On se parle tous les jours et on se soutient mutuellement. Je suis très heureux qu’il soit aujourd’hui dans un contexte où il peut montrer ses qualités. C’est un très bon joueur et je prends vraiment beaucoup de plaisir à regarder ses matchs. J’ai de la chance car on joue rarement en même temps donc je peux regarder presque tous ses matchs ! Et souvent, on débrieffe nos performances, à part quand il est énervé car ça ne sert à rien de lui parler (rires). Avec Ivan, c’est difficile de se voir souvent mais dès qu’on a du temps libre, on essaie de se retrouver.

Même si ça doit être difficile par rapport à vos carrières respectives, as-tu parfois l’opportunité d’aller le voir au stade ?
Oui, je suis notamment allé le voir en début de saison. On avait deux ou trois jours off et il avait un match de Coupe d’Italie à Turin donc j’y suis allé et j’ai ensuite pu passer un moment avec lui. C’était une bonne chose car il était dans une période difficile et avait besoin d’un peu de soutien donc ça tombait bien.

Vous avez joué ensemble à Breda, en D2 néerlandaise, et avec l’équipe de Serbie Espoirs. A quel point est-ce un avantage d’évoluer sur le terrain avec quelqu’un que tu connais si bien ?
C’est un gros avantage parce qu’on se connaît sur le bout des doigts. Tout est plus facile. J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à jouer avec lui. Malheureusement, notre seule saison commune en club s’est arrêtée plus tôt que prévu à cause du covid.

« Je n’ai pas toujours profité autant que j’aurais dû »

Si tu avais l’opportunité de donner un conseil au jeune Luka Ilić de l’Étoile Rouge, ce serait quoi ?
C’est une bonne question ! Je lui dirais de toujours garder son calme, de rester concentré à 100% sur son travail et sur ce qu’il fait. Surtout, je lui dirais qu’il doit comprendre que ce qu’il fait, c’est ce qu’il aime le plus au monde. Ce serait probablement ça, mon conseil.

Tu penses donc avoir manqué de calme ?
Oui, parfois, je n’étais probablement pas assez concentré et je n’ai pas toujours profité autant que j’aurais dû.

(Entretien réalisé en décembre)

À lire aussi > Abdoulaye Ndiaye : « Pas besoin d’être capitaine pour être un leader »